• Extrait N°1 du récit "Un bien pour un mal", en cours d'écritureA l’ombre de l’ormeau, Anaïs s’amuse à faire tourner les volants rouges et or de sa jolie robe. Ses vernis blancs sont presque des claquettes et résonnent sur la place au rythme du forgeron tapant sur son enclume. Sa grande sœur Elie est juste en face, dans l’atelier de Maurice où elle passe le plus clair de son temps. Elle aime discuter avec le vieil homme qui lui dévoile les secrets du bronze et du cuivre. Ce soir c’est la fête au village. Les petites lampes multicolores tintent déjà au gré du vent de Bosc, l’air est chaud, les boulistes aussi. Bientôt ils revêtiront leurs costumes pour danser la sardane. Les femmes ont déserté le lavoir et se pomponnent. Du haut de ses cinq ans, Anaïs aime déjà cette ambiance festive. Pour sûr, elle sera une bonne vivante, au grand dam de ses parents. Elie est plus sage et ne supporte pas le bruit. D’ailleurs elle déteste les feux d’artifice, cela invoque pour elle la guerre et les armes qu’elle n’a pas connues puisque trop jeune mais dans la famille, on en a parlé.

    Anaïs a tenu le coup jusqu’au bout du bal et a rejoint Morphée sans même sans apercevoir. Son petit lit douillet est le bienvenu. Au petit matin, la lueur du jour la réveillera doucement à travers les persiennes et elle s’empiffrera de ses six petits suisses quotidiens auxquels elle ajoutera du chocolat en poudre. C’est un délice pour elle jusqu’au jour où devenue adolescente, elle se paiera une bonne crise de foie et sera sevrée à jamais des joies lactées bien grasses. En attendant c’est dimanche. Elle ne portera plus sa robe à volants mais une tenue beaucoup plus stricte, imposée par la grand-mère Mamette. Pour aller à la messe, il faut bien ce petit sacrifice ! La messe, c’est rasoir mais la promenade est bien agréable. C’est Elie qui se régale, elle qui aime marcher. Le seul moment où Anaïs est contente à l’église, c’est quand elle suce l’hostie ou quand son père s’endort et ronfle. Ça, ça la fait rire. Puis ce sera le retour à la grande maison où la dame de compagnie concoctera un de ses repas catalans bien colorés et dont elle a le secret. Les repas étaient interminables pour les enfants. Ils n’avaient pas droit à la parole et ne devaient surtout pas se lever de table. On leur apprenait les bonnes manières : les couverts à poisson, à viande, à fromage, le couteau à droite sur un porte-couteau, la fourchette à gauche, les piques tournés vers le bas. Oh, comme il tardait à Anaïs d’aller jouer dans le jardin, près de la Rotja ! Comme elle attendait avec impatience d’aller chercher le lait à la ferme avec ses sœurs. Elles y allaient toutes en cœur, faisant tourner les pots de zinc au plus vite afin de ne pas perdre une goutte. La plus douée était sa sœur Violette, cadette d’une fratrie de cinq filles.

    Mais voici que les soirées se rafraichissent. C’est bientôt la fin des grandes vacances et il va falloir retourner là-haut, en région parisienne. C’est là que les parents ont trouvé du travail. Dur dur lorsqu’on est du sud mais on ne fait pas toujours ce que l’on veut. Comme chaque année, il faudra faire la rentrée scolaire. Anaïs déteste ça, elle est un peu sauvage et solitaire et puis, apprendre lui en incombe bien qu’elle ait de grandes facilités, une mémoire d’éléphant. Elle ne travaillait rien et était toujours bien notée au contraire d’Elie qui passait des heures à bûcher. Bûcher ? Oui, pour Anaïs c’était le bucher alors elle comblait cette corvée en inventant les pires bêtises, ce qui lui valut d’être virée de l’école et de se retrouver chez les bonnes sœurs mais c’était mal la connaître ! Elle fut vite rejetée par l’institution catholique et retourna en laïque où à sa plus grande joie, l’école était devenue mixte. Elle jouait désormais avec les garçons, c’était bien plus rigolo que les chamailleries entre filles.

    Les années passaient et c’est toujours avec beaucoup de bonheur qu’Anaïs se ressourçait à Saorra. Mamette faisait une cure à Vernet-les-Bains où elle avait inscrit les trois dernières afin d’assainir leurs voies nasales. C’était pipettes à gogo et ça sentait l’œuf pourri mais c’était bénéfique grâce aux eaux naturellement sulfureuses de la Cady et le cadre était magnifique. Rose, la sœur aînée avait sa bande de copains qui frimaient. Ils allaient à la piscine de Vernet en voiture tandis que les petites les rejoignaient à pied par la départementale. Elles arrivaient souvent après la bataille mais s’en étaient mis plein la vue au cours de la balade où elles flânaient : une fleur par-ci, une fleur par-là, un joli papillon faisaient leur bonheur. Un autre point de rendez-vous était la pierre plate sur la route de Py. C’est là qu’elles se faisaient dorer au soleil tandis que les garçons osaient des plongeons très audacieux. Anaïs aussi commençait à avoir sa bande de copains. Ils allaient faire du sport à la salle des fêtes et pêchaient la truite à mains nues dans la Rotja sous l’œil amusé de la couleuvre à tête jaune qui trônait sur sa branche. Elie partait seule faire de longues randonnées en montagne, Violette était plus casanière et squattait la terrasse. Elle n’aimait pas Mamette, Elie non plus d’ailleurs. Cette grand-mère était assez autoritaire et en vertu des grands principes avait imaginé marier Violette à un riche médecin niçois, sans consultation bien sûr. Il faut dire qu’elle était née en 1889 dans un monde où la bourgeoisie prend le dessus sur les sentiments. La petiote « Bout de chou » de son surnom suivait Anaïs. Elles étaient très liées toutes les deux. Bout de chou ne crachait pas non plus sur les bêtises à faire. Elle était assez casse-cou et piquait des colères imprévisibles. Un jour, étant en désaccord à cause d’une broutille, elle sauta à genoux sur la haute table de salon et rebondissait sur ses genoux à qui mieux-mieux. Toute la maisonnée était effrayée par tant de force déployée mais ses rotules n’ont même pas souffert ! Seul son sang n’avait fait qu’un tour. Plus petite, elle tomba de la chaise où elle rigolait tout debout, une petite cuillère à la main. L’objet s’enfonça dans son front et direction l’hôpital. Même pas peur ! Elle bravait tous les dangers en toute insouciance...

    à suivre !


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