• A cheval

    cevalier2.gif J’ai dû voir une mule, avant un cheval et un authentique chameau, avant ma première mule. Au Maroc, où je suis née, c’était d’un commun !  Je débarquais en France vers l’âge de quatre ans mais ne gardais aucun souvenir  d’une rencontre avec un des poneys qui promenaient les petits parisiens sages, dans les allées du Bois de Vincennes. J’habitais alors à deux pas. Pourtant je n’ai pas eu droit à cette récréation : Soit je n’étais pas assez sage, soit ce n’était pas au programme de ma nouvelle situation familiale, recomposée.

    Je grandis loin de la campagne et je n’aperçus mon premier vrai et grand cheval qu’à Orléans où j’étais devenue pensionnaire. Ce fut une révélation pour moi, ce 8 mai,  jour béni de la fête de Jeanne d’Arc.

    Ce jour là, une fausse pucelle, mais non moins méritante jeune fille de la ville se traînait lourdement caparaçonnée d’une cuirasse en fer-blanc, histoire de coller à l’histoire et d’imiter la vraie. À cette occasion, la fausse Jeanne d’Arc montait un fier destrier, enfin un rude percheron.

    L’animal qui se fichait bien du décorum et tout à ses rêveries d’écurie, déversait ses crottins tous frais du jour, sans retenue ni pudeur,  sur la chaussée lessivée à grande eau le matin même.

    Or, ils étaient nombreux à parader autour de Jeanne qui tenait noblement l’étendard de la délivrance dans son poing déterminé. D’autres cavaliers à l’allure  virile, luisaient dans leurs cottes de maille et trottinaient comme des  braves, suivis de pages boutonneux, vêtus eux d’habits de velours rouge et de bas immaculés. Malgré tous ces costumes sublimes, la fête et la musique vibrante, je trouvais ces animaux-là répugnants Ce laisser-aller, dans la rue, c’était d’un sans gêne !  

     Et puis ils  avaient l’air de quoi,  hauts perchés dans les sphères à narguer les petites gens comme moi. À partir de ce jour, je me mis à détester sans plus de raison, ces bestiaux qui ne respectaient rien, surtout pas les endroits où ils avaient l’insigne honneur de défiler devant une populace complaisante. Je  trouvais les chevaux snob, prétentieux et pas franchement francs du collier, ainsi que tous ceux, en gros, qui les montaient.  

    Quand ce fut notre tour de défiler dans la rue Royale pavoisée aux couleurs orléanaises  des milliers de gens, se pressaient,  s’agglutinaient contre les barrières. Installés dès l’aube, pour assister au spectacle grandiose, ils venaient d’horizons divers jusque du fin fond des Pays de Loire et même de l’étranger, m’affirmaient les bonnes sœurs. Il fallait sans cesse jeter un œil vers le sol, louvoyer entre les déjections chevalines et bien placer nos pieds chaussés de tennis blanches. La veille, nous les avions enduites de dentifrice, pour qu’elles paraissent  plus blanches et plus éclatantes encore. Nous resplendissions ainsi de jeunesse et de santé. La foule nous applaudissait à tour de bras.  Du haut de mes huit ans, j’arborais un air martial, marchais au pas cadencé, ma jupette plissée soleil découvrant mes minuscules gambettes.  Je levais le menton comme une  gymnaste accomplie. On entendait encore au loin, la chevauchée fantastique, les échos sourds des tambours et les trompettes de la garde qui nous devançaient et ……j’évitais de marcher dedans. Ça puait la vieille ménagerie du zoo de Vincennes. L’animal paraissait disproportionné, géant, doté de cette  paire de fesses indécentes, qu’on appelait « croupe » (comme la maladie du même nom dont j’avais failli me faire mourir  bébé) et puis, cette queue nattée, franchement,  ça frisait le ridicule. 

    Si j’avais été obligée de monter en selle, de jouer Jeanne d’arc en personne, (j’en avais déjà la coiffure)  j’aurai préféré mourir brûlée en place publique du Martroi, plutôt que d’escalader ce phénomène contre nature, ce monstre qui ricanait  de ces dents jaunies de faux jeton et…. qui se foutait de moi.

    Même de loin, je me méfiais, un mauvais coup était vite arrivé. Certains chevaux, énervés par la foule et la chaleur,  gesticulaient sous leurs montures, se cabraient et renâclaient à avancer droit. On frôla plusieurs fois la catastrophe.

    On disait que la bête pouvait tuer un homme, d’un  coup de sabot ou d’une de ces fameuses ruades. Horreur ! J’en avais lu des histoires avec des chutes de cheval fatales…….des vies brisées à  jamais. Comment pouvait on être assez fou pour  appeler « la plus belle conquête de l’homme » cette bête capricieuse !

    Je me sentais davantage en harmonie avec les ânes, eux ils savaient rester humbles, ils avaient réchauffé Jésus en personne. Souvent affublée de ce trop célèbre bonnet d’âne, je trouvais que le monde était injuste envers cet animal paisible. Je pensais qu’on ne faisait pas la guerre à dos d’âne ! J’appris à mieux les considérer, à les apprécier, même si inévitablement, à faire l’âne  je finissais dans un coin de la classe avec des oreilles en papier sur le sommet de la tête !

     

    Aux alentours de mes dix-huit printemps, je commençais à trouver l’animal plus élégant, gracieux même quand il gambadait dans des paysages sauvages,   enfin je le trouvais moins inaccessible.  Un jour j’en approchais un, j’arrivais même à le caresser du bout des doigts, puisque tout le monde autour de moi, le faisait. En ces prémices de 1968, je résidais à Clamart, dans un splendide manoir…enfin dans une vieille demeure transformée en foyer pour jeunes travailleuses et dirigée par d’allègres religieuses aux méthodes modernistes. Derrière l’imposante bâtisse découpée en chambrettes, il y avait le parc. Un superbe endroit arboré aux belles proportions où broutaient des chevaux isabelle. Les chevaux appartenaient à un manège des alentours qui les confiaient à nos bons soins, histoire qu’ils se gavent la panse de notre herbe grasse et soient d’attaque pour recevoir les culs musclés des snobinardes  et pimbêches du coin. Pour des raisons de sécurité évidentes,  ils étaient maintenus à une longe, elle-même fixée à un solide pieu.

    Sous l’œil goguenard des sœurs, mes colocataires courageuses ou inconscientes ne trouvaient rien de mieux à faire que d’escalader à cru cette monture inopinée à l’aide…. d’une chaise du réfectoire. L’affaire se révélait délicate. Il s’agissait de faire tenir l’équidé tranquille,  qui lui, entendait bien garder sa part de liberté et piaffait à qui mieux mieux  pour déstabiliser la candidate au suicide. Quand enfin, elle parvenait à ses fins !

    - Allez ! Disait elle, en lui tapotant les flancs et en se cramponnant à sa crinière : Hue cocotte !  Habitué à ce qu’on lui grimpât dessus, cocotte entamait illico un galop mesuré,  tournant en rond, à moins que ce ne fut un trot, je ne plus trop, toujours sécurisé par la longe qui raccourcissait à vue d’œil autour du piquet.

    Sous les quolibets des copines qui pensaient que j’étais et resterais une dégonflée de première toute ma vie, je tentais l’impossible et approchais ma chaise du dos de la bête. La trouille en bandoulière, j’enfourchais la monture qui risqua un écart, faillit faire tomber la chaise, avec moi dessus, mais finalement accepta la piètre cavalière que j’étais, plus pétrifiée que jamais.

    Raide et coincée, je me maintenais à un pas poussif, essayant de refréner les ardeurs du cheval et m’agrippant telle une naufragée à sa courte crinière, tremblant que la corde ne cède et numérotant mentalement mes abattis. Le cheval me parut osseux à souhait, peu confortable, plutôt irritant pour mes parties intimes et la base même de mon fondement.

    Je ne fus soulagée que sur le plancher des vaches, descendis plus vite que je n’étais montée et mis trois jours à me défaire de cette odeur de paddock qui s’insinuait jusque dans mes pantalons pattes d’éph et qui me soulevait le coeur….

     Ce fut la seule, la dingue, mais héroïque virée sur un canasson entravé que j’entrepris et nos rapports s’en tinrent à cette unique expérience.  Je ne tentais aucun travail d’approche avec d’autres congénères, ne renouvelais pas l’aventure.  C’était décidément trop haut, là-haut  ….    

    Le temps vint où je rencontrais, mes premiers flirts, mes premiers cavaliers qui s’appelèrent  Forestier, Moreau, Martin ou Tartempion.     

    Un jour,  je quittais le foyer pour en construire un, le mien…. et devinez qui j’épousais plus tard : un… « Lécuyer » alors  là,  là vraiment, quand le destin s’en mêle !

     

     

    Brigitte Lécuyer

        
    « Fête d'ArielleJacquouille ou l’embrouille »

  • Commentaires

    1
    Mercredi 3 Octobre 2007 à 12:00
    je suis hilare quand je lis tes exploits de cavaliere emeritea savoir que l'ecuyer portait l'ecu et la lance il etait monté sur un palefroi c'etait l'aide de camp du chevalier .
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