• Les huit marches

        Il fait nuit noire.

    Je passe le tourniquet Evolic, éclairé par la seule lueur du contrôle d’accès. Je sors de l’usine et je cherche à tâtons ces huit marches qui me mènent vers la liberté, la clarté dans les ténèbres, ma vie, celle que je vis.

    La main courante s’offre à moi. Elle me connaît bien, elle, aussi rouillée que mes articulations mais toujours droite et opérationnelle ! J’ose, la tête haute, ce premier pas qui me traînera de haut en bas sur cet escalier mal armé, sur ce bloc grossièrement découpé et j’aboutirais de toute évidence, dans la flaque d’eau inévitable, incontournable.

    La lune n’est pas là. Il ne faut pas rater cette première marche qui me rappelle Mameth, ma grand mère maternelle, victime de sa cataracte. Eclairée par sa foi et accompagnée par ses quatre vingt ans, elle franchissait alerte, le parvis de l’église Sainte Thérèse. Eglise niçoise où le grivois semblait vouloir se venger de tant de croyances ! Patatras….. Combien de fémurs, combien de côtes a t elle sacrifié pour ne surtout pas manquer le sermon du curé ! Une marche arrondie, si parfaitement dessinée qu’elle se confondait avec le macadam.

    Sur la seconde marche, je suis confiante car j’ai passé triomphalement l’embûche précédente. Mon talon aiguille se plante gracieusement sur les aspérités qui semblent connaître à la perfection, ma pointure. Je suis d’aplomb, je suis d’équerre, point besoin de sortir le niveau. Trop d’assurance fait fonctionner l’assurance…….. maladie ! Point de méfiance et hop ! Patatras…… Je n’avais pas prévu le verglas, pour moi sonne le glas, j’ai froid. Au loin, la vieille église dont les quatre colonnes témoignent d’une grandeur passée, est illuminée, elle ! Je la sens qui me protège, qui veille sur mon équilibre. Dans un youla hop ! Je me rattrape, me déhanchant dignement. Je prie, j’invoque dans un sanglot court comment aborder le reste de l’escalier.

    La nuit est si sombre que j’y vois des ombres.

    -          Oh la ! Qui va là ?

    Je ne me sens plus en sécurité, des formes se dessinent. Et si j’étais cernée, épiée ? Et si le rôdeur de la zone industrielle surgissait ? Je n’ose me retourner, je frisonne. Je suis suivie par l’ombre de mon ombre, mon mental qui me déstabilise. Mon moi s’effraye, mon ego se fait tout petit. La peur donnant des ailes, j’ai survolé le numéro trois, tel Aladin sur son tapis magique. J’entre dans la quatrième dimension, la quatrième marche ! Celle qui me fera gravir les échelons. Comme Marylin Monroe, je rendrais honneur aux marches du palais. Je serais princesse, je perdrais ma chaussure de verre et le prince charmant m’épousera, et la vieille sorcière ne rira pas devant son miroir.

    Miroir, Oh mon miroir qui me renvoie mon image sur la marche suivante gelée. Je vais devoir patiner artistiquement, bien m’amarrer, bien m’encorder. Au large les amarres, moussaillon ! Ne jette pas l’ancre, il en reste trois comme ces trois marches de chez Maurice à Saint Denis. Le petit estaminet nous accueillait au seul prix d’avoir su gravir une, deux et trois de ces petites scènes bétonnées et nous entrions dans un théâtre où se jouaient quotidiennement des actes de la vie. C’est là que j’appris à jouer au 421, à la belote. C’est là qu’on discutait le bout de gras, qu’on m’inculquait la bonne marche à suivre.

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  • Commentaires

    1
    Lundi 29 Juin 2009 à 12:00
    Quel style : quel humour ! j'aime quand tu prends ce ton d'ironie confortable. Les talons aiguilles, tu es d'équerre, etc.. etc... je retrouve le style "conduire ton canapé", zut ! il aurait fallu que je les note toutes tes formules, toutes ces phrases qui donnent tant de vie à tes textes et qui me font sourire. Celui-ci serait à "mettre de côté", bravo Arielle, on sent que tu "t'éclates" quand tu écris.Bonne soirée bisous, je poursuis ma lecture
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