• Chère Hortanse

    grand_mere.jpegAujourd’hui au centre de recherche biomédicale où je joue les cobayes, pour gagner trois euros six sous, que je ne toucherais pas avant des mois, les spécialistes avertis m’ont accueillie sèchement, puis ils m’ont demandé de bien étaler le produit du jour, sur le front, le contour des yeux, la patte d’oie et les ailes du nez. Pour un peu, j’oubliai que mon nez avait des ailes, avec le zef qu’il fait, il aurait pu s’envoler cet écervelé, et je me serai retrouvée sans nez, obligée de me coltiner un nouveau nez ou pire de m’en faire greffer un, un nez de mort, beurk !
    Les pattes d’oie aussi, je les avais zappées, comme si même mon visage refusait cette part de moi, cette part d’autre, cette part d’ancêtres pas nets, nets, ni francs du collier. Or de penser au pas de l’oie et à mes origines vert de gris accentue le tableau, ce tableau opaque (car sans lunettes) que j’ai de moi, en face de moi, de ma face rubiconde à moi…  
    J’ai descendu la volée de marches, direction le sous-sol où l’on n’est pas sensé entendre les cris de réfractaires, des vieilles farouches à la peau du cou plissée comme des dindons, des vieilles tirées de leurs lits avant de se faire tirer la peau, des vieilles du 16ème toutes embagousées et en sac Vuitton et comme toutes les autres, j’ai eu droit à mon interrogatoire personnalisé par la spécialiste en uniforme (blouse blanche pas vraiment immaculée, immaculée) et pour terminer l’interro en bonne et due forme, ces mots :  gros et gras, y a plus qu’à lire, si on sait :
    Est-ce que le produit est gras ?
    Est-ce que le produit colle ?
    Est ce que produit s’étale bien ?
    Est ce que je m’étale si je colle du produit sous mes chaussures ?
    Est-ce que le produit pénètre bien ?
    Est-ce que le produit laisse la peau grasse ?
    Est-ce que la police (mais qu’est ce que vient faire la police dans cette affaire)
    Est-ce que le produit lisse la peau, laisse la peau lisse, bref vous avez compris, qu’on glisse tellement qu’on ne va pas tarder à se ramasser !
    J’avais plusieurs solutions pour répondre à l’interrogatoire, mais d’abord je devais m’asseoir sur le tabouret qui tourne, juste devant la glace, me regarder dans les yeux devant le miroir faux jeton, celui qui ne cache rien de vos petites misères, celui qui vous rappelle comme vous avez changé depuis… depuis …votre photo de mariage, et vous vous dites, si vous avez la chance d’avoir une fille qui vous ressemble un tant soit peu, ouais, quand meme j’étais assez mignonne en ce temps là ! Bon j’ai pas dit belle, faut rien exagérer. 
    Alors, j’ai pas joué les rebelles, je me suis assise bien droite, face à la vérité sans fard et j’ai tout avoué en vrac. Rien que la vérité, toute la vérité, je le jure, dans la lumière crue des projecteurs, j’avais qu’à suivre les inscriptions et dire que j’étais :
    -          Tout à fait d’accord
    -          D’accord
    -          Plutôt d’accord
    -          Plutôt pas d’accord
    -          Pas du tout d’accord
    Quand on pense qu’il y a des gens qui font des études supérieures pour pondre un truc aussi con !
    J’ai alterné les réponses, histoire de pas jouer la nana sans imagination, j’ai dit d’abord : d’accord, ensuite pas d’accord, plutôt pas d’accord, tout a fait d’accord, mais pas, pas du tout d’accord, ils n’auraient sans doute pas été d’accord.   
    Je suis passée de salle en salle, de mains en mains, hier et aujourd’hui, entre les mains expertes du photographe, de l’ophtalmologue, du dermatologue, j’en ai feuilleté des tas de revues écornées et cradingues et des catalogues mous repus de publicité, en attendant mon tour avec les vieilles toupies.
    Mais je reçois ma récompense, me voilà nantie pour trois semaines d’une crème en petit pot pour moi toute seule, une crème sans nom, une anonyme qui ne le restera plus longtemps, une crème qui sera vendue la peau des fesses au rayon grand luxe des grands magasins, une crème onctueuse, à la texture, fine, douce, sans odeur et je suppose sans saveur et sans amertume, une crème dont on ventera les mérites à la télé et dans les magazines branchés et que j’aurai personnellement testée.
    Mais pour l’instant présent, je suis sensée faire du bien à ma peau, enfin j’espère. On m’a inscrite dans la catégorie des peaux sèches, archi-sèches (d’archiduchesse) et je dois donc tartiner deux fois par jour, c’est noté noir sur blanc sur mon contrat, tartiner disais-je, dans le sens des aiguilles d’une montre ma peau de velours rêche l’hiver, ma peau pas lisse l’été, ma vieille peau, ma peau rouge, aurai-je aussi des sioux dans ma lignée d’ascendants dégénérés. Indiens en ligne de mire. Prêts à tirer ? Où où ?
     Je dérape, je délire, je glisse… c’est sans doute le froid froid qui glace mes veines sur le chemin du retour, c’est l’hiver me direz vous, donc de circonstance,   j’en conviens chère Hortense ! J’aime ce prénom Hortance, vous que je qualifie d’amie virtuelle et à qui j’écris virtuellement ces blablas, mais mon ordinateur rechigne à mettre un A à Hortense. Il n’est pas dit que mon ordinateur fasse pas la loi ici, si moi je trouve que c’est plus chic avec un A, je décide et tant pis si mon texte est zébré de rouge. Vous riez ? Vous rirez encore de mes inepties, je vous le promets chère Hortance ou ne rirez pas, tant pis, j’en ferai pas une maladie.
    Mais bon, je suis encore maître à mon bord, je pense donc je suis, j’essuie les larmes de froid qui glissent sur ma peau endolorie. Allez, j’ai bien le droit d’écrire n’importe quoi  par les temps qui courent, mortels comme la bise soufflant sur Paris un après-midi gris, gris, gris.
     
     
                                       Brigitte Lécuyer 31 janvier 2006   
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  • Commentaires

    1
    Dimanche 9 Décembre 2007 à 12:00
    Coucou... A l'approche de fêtes, je suis occupée avec les achats et la déco.... Mais je pense à vous tous..... bizzzz Céline, qui va bien et qui sourit ;-)
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