• Peinture de GERALBY, ma nièce

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    Adeline ne supporte plus son HLM où elle blêmit de jour en jours.

    Elle a bien d’autres ambitions et s’est promis de vivre dans un petit paradis.

    Lequel ? Où, comment, seule ou accompagnée… Dieu seul le sait.

    Une chose est certaine, elle recherche la campagne, un havre de paix où elle sera loin des supercheries du système. Quel bonheur d’avoir le soleil, les petits oiseaux et la qualité de vie en prime ! Seulement voilà : elle travaille et ne peux pas s’éloigner de la région parisienne mais elle ne baisse pas les bras pour autant et retourne dans sa tête toutes les solutions envisageables. Après tout, une location dans une petite maison rurale serait déjà mieux malgré les kilomètres à faire pour se rendre au travail et en regardant bien, ce n’est pas plus onéreux qu’un appartement au dixième étage en loyer modéré, soi-disant. Elle part faire quelques emplettes. D’ordinaire, elle ne s’arrête jamais devant le panneau des petites annonces et là ! Allez savoir pourquoi ? Elle a été attirée par une toute petite fiche « F3 dans maison rurale – particulier à particulier – location peu chère ». …….. « Peu chère » ! Peuchère se dit-elle ! C’est pour moi, ça.  Elle appelle illico presto et sitôt dit, sitôt fait, elle obtient un rendez-vous pour le lendemain midi : un dimanche. Elle arrive avec sa fille Irène et le lieu rustique les  charme. Au feu rouge à droite, après avoir remonté la petite rue dite « rue grande », le clocher du XVème siècle s’offre aux passants, laissant paraître un pigeonnier peu singulier. C’est une vieille bourgade, encore grandement pavée. Même la poste ne dépareille pas. Serpentant entre les butoirs à piétons, il faut remonter encore une petite rue «  la rue Madame. Face au 22, le mur du parc croule sous ses pierres usées par le temps. Nous y sommes.

    Adeline actionne la vieille cloche rouillée. Un couple et leurs enfants apparaissent sur le perron. C’est le bazar chez eux ! Du poisson rouge aux chats, en passant par les oiseaux et certainement les acariens, on a le sentiment d’être dans une roulotte de nomades. Il y a comme une ambiance ! Irène a de suite un coup de cœur pour cette maison. Adeline n’est pas autant emballée  mais si sa fille dit que c’est bien, alors elle l’écoute. En fait, Irène voit beaucoup plus loin. Elle sait déjà comment elle décorera ce rez-de-chaussée. C’est une maison sur deux étages. Il y a un locataire en bas et un en haut. Chacun a son entrée indépendante. Les vitres de la salle de séjour sont à à peine quatre-vingt centimètres du sol. Les plafonds sont hauts. En fait, la location passe par une agence mais une ristourne sur les frais est possible en s’arrangeant directement avec le locataire sortant. Il y a un petit bout de jardin. Quel délice d'avoir son coin de verdure, de pouvoir y faire griller des côtelettes. Adeline aime les plaisirs simples. Elle envisage déjà de fabriquer elle-même un barbecue en ciment fondu.  Ce sera une première pour elle : une nouvelle expérience de bricolage dont elle pourra se montrer fière. Elle espère ainsi que ses amis seront quelque peu épatés car elle le construira avec amour et  souhaite beaucoup  y trouver des moments de joie. Allez ! Donnez-moi la main que je vous fasse visiter ce petit paradis Val-d'Oisien.

    22 rue Madame : ça en jette cette adresse ! Madame avec une majuscule, s’il vous plaît… Adeline et sa fille méritent bien ce titre ! Regardons d’abord s’il y a du courrier dans cette mignonette boîte qu’Irène a peinte en bleu, avec tant d’ardeur. Rien : tant mieux, c’était juste pour le plaisir d’apprécier son élégance. Elle se cramponne au mur, surveillant de près le vieux portail, bleu lui aussi et qui débouche sur une minuscule cour. Pauvre petit portail plein de bleus ! Il est farci de rhumatismes, il commence à se rouiller tout comme Adeline qui atteint bientôt la cinquantaine! La clef est d’époque, suffisamment lourde pour trouer les poches mais tellement chargée de passé que nous ne pouvons pas lui en vouloir. Et puis, elle est si joliment ciselée ! Les rosiers sur le côté droit de cette cour qui s’étire en longueur tel un chat se délassant, font des clins d‘œil au pot de fleurs perché au faîte du pilier de briques, qui droit comme un gendarme, joue les sentinelles. Pour sûr, Adeline et Irène vont être bien protégées ! Le pot est aussi ancien que la clef du portail et toujours en alerte : à la moindre vibration, l’intrus qui ose un orteil n’a aucune chance d’échapper au coup d’assommoir ! Les volets sont bleus, les potences qui soutiennent la petite véranda sont bleues. Cette maison a plusieurs identités. Ses murs blancs où claquent les persiennes sont une invitation au bord de mer. On pourrait presque entendre les mouettes rire dans le ciel… bleu.

    Entrez, je vous prie.

    Suspendez vos manteaux au perroquet qui vous tend les bras entre lambris verts et carreaux cathédrale. Gardez vos chaussures, le carrelage est un peu froid. Il a une odeur, ce carrelage, il sent bon comme dans la maison de Mamette, la grand-mère d’Adeline et qui habitait à Nice de l’automne au printemps. Il ne manque plus que le mimosa. Cette maison est une incitation au voyage. Nous sommes en hiver et le soleil bas caresse la table craquelée, tant il pénètre dans la pièce ! Les rebords de fenêtre sont à hauteur de popotins, de vrais petits canapés où il fait bon se réchauffer le dos à travers les carreaux. Les pêcheurs sur le rideau attendent leurs proies. Sur la droite, la cuisine nous rappelle bien que la femme est de corvée ! La peinture s’écaille. Irène envisage de la masquer partiellement en accrochant quelques meubles. La chaudière est au gaz, le compteur est dans la rue, à hauteur d’un chien couché.

    Vous me suivez toujours ?

    Montons ces trois marches couleur coquille d’œuf. Vous n’avez rien à craindre : elles sont spacieuses.  Nous voici dans le salon où Napoléon aurait certainement aimé faire des conquêtes. La cheminée reste de marbre bien qu’elle s’offre en une large ouverture… quelle espiègle ! Elle est ornée de quelques roseaux. Les plafonds sont bordés d’un liseré imitant la vieille époque. Il va falloir qu’Adeline et Irène chinent sur les brocantes pour trouver  un lustre en cristal. Cette pièce est chaude, hum ! Montons encore deux marches coquille d’œuf.  Ce rez-de-chaussée est à plusieurs paliers. Niveau un : salle à manger, cuisine. Niveau deux : l’empire des sens. Niveau trois : la grande chambre. Nous sommes dans un chalet de montagne : les lambris sentent la fondue savoyarde. Il y a beaucoup d’espace. La petite chambre, tout au bout de la maison, sera celle d’Irène. Elle donne sur le fond de la cour, là où Adeline construira son fameux barbecue, bleu, ça va de soi. Irène en fera un lieu moderne, avec des affiches de Marylin Monroe buvant du coca cola. Elle pourra aussi mettre en vitrine sa collection de dragons. Elle l’aime déjà sa chambre.  Au bout du bout du rez-de-chaussée, il ne faut pas espérer trouver d’autres petits paradis mais retournez-vous d’un quart. Ne serait-ce pas là le début d’un escalier central qui aurait mené jadis à l’étage ? Et cette planque sous l’escalier, ne nous mène-t-elle pas à la cave ? Il va falloir approfondir ces mystères.  Poussons la porte qui bloque cet escalier virtuel. Oh ! Encore trois petites marches et Oh ! Une grande et belle salle de bain, bleue. Un miroir ovale renvoie les faciès, juste sous la lucarne car il n’y a pas que le rez-de-chaussée qui est sur plusieurs niveaux. La salle de bains est sous la rue perpendiculaire à la rue Madame et c’est un jeu que d’apercevoir les mollets plus ou moins bien galbés, des passants qui passent.  Le restant de l’escalier d’antan est recouvert par des lambris et ressemble à une ébauche de sauna. La porte de la douche nous mène droit au septième ciel… toute rose !  Voilà ! Refaisons le chemin en arrière : soixante mètres carrés tout en longueur. Il y a de quoi musarder, profiter de cette architecture pas trop mal sauvegardée.  A l’étage, les locataires sont là depuis huit ans alors que tous ceux du rez-de-chaussée ne restent qu’une, voire deux années tout au plus, d’après les cancans du quartier.  Bizarre, bizarre… Je vous ai dit bizarre.

    Adeline et sa fille ne fréquentent que très rarement l’entourage. Seul le petit macho du dessus passe son long pif par la fenêtre du rez-de-chaussée et tente de se faire offrir une bibine. Les contacts semblent corrects, sans plus. Adeline, de même qu’Irène, n’éprouve aucun besoin d’être chaleureuse avec lui, ni avec sa femme d’ailleurs. Cette belle blonde affiche une certaine admiration pour nos deux jolies jeunes femmes qui se débrouillent seules. Elle n’a jamais osé mettre un pied dehors sans son mari bidon. Elle les voit bouger sans cesse, sortir seules le soir pour se rendre à la fête de la musique par exemple. Son bidonnant d’époux joue les fiers à bras mais est lui aussi, époustouflé par la débrouillardise de ces nouvelles arrivantes. 

    C’est la toussaint et Adeline s’absente quelques jours pour passer les vacances avec son fils et sa petite fille en Isère, laissant Irène prendre soin de la maison. Celle-ci avait prévenu sa mère et les voisins qu’elle ferait une petite réception un soir de la semaine, histoire de pendre la crémaillère avec ses copains. Elle avait donc l’esprit tranquille quand, en fin de soirée, elle vit débarquer la police. Le petit véreux du dessus s’était plaint du soi-disant tapage nocturne. Les agents n’ont pu que constater qu’il se déroulait là une petite fête très gentillette et que le son ne méritait pas que le cabot du dessus aboie. Cet idiot n’avait même pas pris la peine de venir frapper à la porte pour demander à Irène de chuchoter plutôt que de s’amuser.  Le lendemain, Irène téléphone à sa mère pour l’informer du désagrément et aussi parce qu’elle n’a plus de gaz. C’est très étonnant car il n’y a aucune raison à cela. Adeline contacte donc l’autre voisin situé un peu plus en contrebas et plombier à son compte, pour qu’il aille voir ce qui se passe. « Ma chère Adeline, un petit malin s’est amusé à couper ton compteur dans la rue ». Ah et bien oui ! Il eut fallu y penser ! Le toujours aussi futé que ses pieds du dessus s’était vengé d’avoir été sermonné par la flicaille. « Oh ! L’empapaouté ! ». En fait, lui : le roi de la moto cross dans les chemins boueux traversant le petit bois en haut de la rue, n’avait pas digéré non plus les belles motos des amis d’Irène, garées juste sous sa fenêtre et  il était facile de s’attaquer à une jeune fille sans défenses.  Petit, petit, tout petit l’homo sapiens, ridicule !  Inutile de vous dire qu’à son retour,  Adeline n’avait qu’une envie : celle de lui coincer son pif entre deux battants lorsqu’il oserait à nouveau le passer par sa fenêtre. Les relations ont commencé à se dégrader fortement et comme sa femme avait, elle aussi le cerveau lent et la médisance aisée, elle en rajoutait couches sur couches et initiait ses enfants à  regarder Adeline et sa fille en chien de faïence.

    Par tous les diables, le paradis devenait un enfer !

     

    .... lire le texte en entier :  Adeline et son petit paradis Adeline et son petit paradis


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  • sahorre

    -          Perpignan, Perpignan, tout le monde descend !

    Dans la brume du petit matin mêlée aux vapeurs de locomotives encore ardentes, Adeline arrive au charmant pays des catalans, amusée par l’accent chantant du chef de gare qui met tout son art dans ses annonces au mégaphone. Depuis sa plus tendre enfance, elle passe les grandes vacances à Sahorre chez sa grand-mère Mamette. C’est la première fois qu’elle prend le train toute seule : neuf heures en wagon-couchette, bercée par le roulis lancinant et répétitif marquant le tempo de ses rêves. Elle est fascinée par la traversée de longs tunnels où elle s’imagine mille et une facéties. La lumière tamisée de son compartiment fait jouer les ombres sur les parois sombres de ces galeries. C’est comme un court-métrage où les scènes semblent animées par la vitesse : un suspens qui se renouvelle à chaque passage sous le creux des montagnes.

    Adeline est toute excitée. Elle cherche du regard la Micheline rouge et or qui l’emportera dans des paysages merveilleux au passage de quelques viaducs très impressionnants jusqu’à Vernet-les-bains où Mamette suit régulièrement sa cure de rhumatologie, si bénéfique  grâce aux eaux naturellement sulfureuses de la Cady. Elle sera là avec Fernand, son ami et chauffeur de taxi pour l’occasion. Adeline se voit déjà choisir les plus belles oreillettes parfumées de la boulangerie en contrebas de la place. C’est son premier plaisir en arrivant. Jamais au grand jamais sur toute la terre, on ne pourra déguster d’aussi parfaite gourmandise. Les oreillettes de Vernet, c’est un délice. Ah ! Se lécher les doigts en admirant les tableaux de la boutique adjacente à la pâtisserie. C’est là qu’Adeline s’éprend des belles choses, des goûts artistiques que sa Mamette lui inculque avec délectation. Ces tableaux sont faits de velours, on les caresse du regard.

    Fernand roule prudemment sur l’étroite route qui mène à ce presque petit bout du monde. Certains ont déjà embrassé le fossé par grand froid ! Le petit parapet de pierres ne suffit pas. Dans le long virage, on aperçoit s’éloignant déjà le bout du nez de Vernet, je veux dire le clocher qui semble veiller malgré tout sur le vallon. Il ne reste plus que quelques fermes à passer et voilà : nous y sommes. Le soleil chauffe le centre de la place, on entend déjà les oiseaux chanter dans les feuillages. Il est bientôt midi, on discute le bout de gras sur le parvis de l’ancien château où Maurice le forgeron tape les douze coups, faisant légèrement concurrence à la paroisse Saint Cyprien. Les lavandières se mettent aux fourneaux, ici on vit à l’heure du temps. Adeline gravit avec bonheur les marches bien cirées du bel escalier lumineux qui s’ouvre à sa chambre : vue directe sur le lavoir et le terrain de pétanque. Au loin, les Pyrénées dessinent de souples courbes verdoyantes où quelques ours doivent bien y tenir tanière. Ainsi orientés, les couchers de soleil embrasent les toits de leurs belles couleurs sang et or qui font la fierté de la catalogne.

    Demain matin, Adeline se rendra à son cours de piano chez la voisine et le petit village prendra le ton, durant une heure, du clair de lune de Beethoven et des valses de Mozart. En attendant, elle a hâte de passer à table. Sa grand-mère lui concocte toujours de joyeux mets très colorés, de bons petits plats régionaux qu’elle fait mijoter. Ça sent bon dans la maison, ça respire l’été et ses ambiances. Il n’y a pas à aller bien loin pour faire les courses : la boucherie et l’épicerie sont à deux pas de l’escalier. Ce sont des amis bien sûr, tout le monde se connaît, tout le monde se côtoye.

    Les rumeurs se propagent à belle allure dans les villages. A peine sortie de table, Adeline entend ses camarades l’appeler. Elle dévale les marches quatre à quatre, impatiente de les retrouver. Ils sont là, ils l’attendent et les voici partis nu-pieds pêcher la truite dans le torrent qui serpente entre les pierres sous le pont. Ici, on pêche la truite à la main : on la course dans une eau si claire qu’elle ne peut s’échapper. C’est toute une tactique car le poisson glisse entre les mains, il faut un certain doigté. Adeline est plus douée pour la truite de Schubert que pour ce sport ! Elle n’en n’attrape pas beaucoup mais c’est un réel plaisir de barboter par cette chaleur et puis elle aime se reposer sur la petite île toute en friches. Il y a là sa copine la couleuvre qui la tête en bas, enroulée sur une branche, semble lui sourire avec sa tâche jaune sur le front. Elle est gentille cette couleuvre de terre et reste toujours dans l’ombre : Adeline lui parle des heures durant comme on se confie à une amie.

    Dans quelques jours, sa grande sœur Eliane la rejoindra. Ce sera l’occasion de faire de belles promenades sur les contreforts du Canigou car, avec les copains, c’est plutôt ambiance salle des fêtes et plongeons depuis la « pierre plate », ce qui ne fait pas vraiment sortir de son trou. La « pierre plate » surplombe le torrentueux torrent dans un cadre mirifique, non loin de la « cascade de l’enfer » à la limite de Py mais on n’y tient pas nombreux et plonger là, c’est prendre de vrais risques. Ca va bien pour lézarder au soleil ou pour les sportifs mais Adeline qui vient de la capitale préfère visiter la région. Elle adore d’ailleurs quand son oncle la mène en jeep au pic du Canigou, la montagne sacrée des catalans. C’est son métier : il promène les touristes avec sa super jeep couleur sable, les emmène visiter l’abbaye romane de Saint Martin du Canigou d’où ils peuvent admirer la vallée, puis les invite à se désaltérer près du belvédère. Adeline ne se lasse pas de ce pèlerinage aux senteurs et aux couleurs ensorcelantes.

    C’est bientôt la fête du quatorze juillet. Comme chaque année, les loupiotes multicolores et les guirlandes de petits drapeaux flotteront joyeusement sur la place où quelques groupes locaux mettront l’ambiance. Tout le village sera là et dansera la sardane puis viendront se mêler quelques dérives plus émoustillantes les unes que les autres, dont cette fameuse farandole : jolie partie de rigolade.

    Sur la place de granit rose, les jupes virevolteront tandis que les lanternes valseront au vent léger, les foulards rouges des catalans suivront le mouvement, ondulant au rythme de notes envolées. Le vin sera bu à la bourrache, typique gourde catalane en cuir et point de gourde dans la petite bande d’Adeline ! Ce sont juste de joyeux adolescents aimant l’ambiance colorée des Pyrénées. Le lendemain, ils iront aux festivités médiévales de Villefranche de Conflent. Quelle chance d’avoir dans les parages une cité fortifiée par Vauban, d’être accueillis dans d’étroites ruelles par des artisans, de pouvoir se promener à l’intérieur des remparts. Vraiment, cette région mérite le détour.

    C’est aujourd’hui le grand jour, le jour « J » : Eliane arrive au train de seize heures vingt. Adeline se fait une joie d’aller l’attendre à Perpignan, juste pour le plaisir de reprendre la Micheline et d’entendre cet accent si particulier du chef de gare, ce bonheur chantant qui sent bon les capucines au pied des maisons. Eliane, c’est la nature à fond, les choses de la vie, le contact direct avec les arbres et la terre : se ressourcer afin de sentir et ressentir ses racines. Eliane écoute, regarde, analyse. Elle pourrait fort bien devenir détective ! Elle a un sens profond du genre humain, elle aime les animaux aussi, principalement les abeilles et la magie du miel. Elle n’a que très peu d’amis, elle est dans son univers qui n’appartient certainement pas au monde dans lequel elle est née. Eliane est un mystère qui aime bien les friandises : le passage à Vernet sera obligatoire… Et hop ! Une petite oreillette !

    C’est cosy, c’est douillet dans la maison de Sahorre. Eliane adore sa chambre au deuxième étage. Elle a vue sur la rivière et la tour de Goa. Son lit sculpté et laqué lui a été offert par sa marraine qui revenait d’un voyage en Indochine. Elle est décidément hors du temps, hors de notre civilisation mais c’est là qu’elle est heureuse. Ah ! Vivre avec Eliane n’est pas une sinécure, il en faut de la compréhension et de la patience mais Adeline s’y fait bien, elles sont même complices parfois dans les bizarreries de la vie et surtout lorsqu’il s’agit d’aller chercher le lait frais à la ferme située sur la route de Vernet : plaisirs du soir dans les Pyrénées, elles s’en vont nanties de pots de zinc chercher le bon lait cru fermier, faisant tournoyer à tout berzingue les bidons dont l’anse en bois pivote. Jamais elles ne perdent une goutte, elles sont devenus expertes à faire tourner le lait sans le faire cailler. Les vaches les regardent passer, leur entrain les amuse. Nos deux compères leur cueillent des fleurs de pré histoire de les faire ruminer. Ça pourrait être bien pis ! Puis elles cheminent de ruelles en ruelles. Devant l’heure tardive, elles pressent le pas, leurs ombres quasi irréelles les surprennent, elles imaginent des cerfs quand à bout de souffle elles atteignent le lavoir. Sur la Grand-Place maintenant éclairée, Maurice forge toujours ses fers à cheval tandis que les boulistes discutent le point. Elles entament quelques pas de danse avant de mettre les pichets au frais. Il y a de la joie dans la maisonnée, la seule tâche au tableau, ce sont les devoirs de vacances qu’il faudra absolument terminer avant la rentrée. Adeline doit faire une rédaction sur le thème de l’orage et là, il fait une chaleur torride… Elle garde bon espoir pour que l’inspiration lui tombe du ciel.

    Il fait chaud, il fait beau. Demain, elles troqueront les espadrilles contre les chaussures de marche. Point besoin de boussole, Eliane joue les Sherlock Holmes. Elle a été scoute ces dernières années et son sens de la débrouille est toujours en éveil. Adeline lui fait confiance et la suit les yeux fermés. Une bonne nuit de sommeil et les voici fraîches comme des gardons, prêtes à s’aventurer dans la montagne. Elles commencent par traverser le vieux pont de pierre où elles aiment se pencher légèrement car il leur arrive seulement à la taille. Ce pont est très haut et la vue sur le torrent y est magnifique. Puis elles longent la mairie, passent derrière la salle des fêtes où les maisons se font de plus en plus rares. Rien de tel qu’une petite grimpette vers les hauteurs pour s’aérer un peu. Eliane sait qu’il y a par là, quelques vestiges miniers mais il faut marcher encore, s’enfoncer dans la forêt. Il n’y a pas de sentier, aucun repère non plus. Seules quelques pistes non encourageantes peuvent à la limite guider un peu. Tout est si calme ! Seuls les chants des oiseaux et le léger frissonnement des feuillages accompagnent nos joyeuses randonneuses. C’est la promenade à l’état pur, le silence qu’Eliane chérit tant. Elle n’a jamais supporté le moindre bruit : toute petite, elle faisait des crises de nerfs au simple passage d’une mouche alors que ses petites sœurs jouaient de la guitare électrique avec leurs copains. La cohabitation était plutôt rude ! Alors là, dans la montagne, elle jouit de ce calme olympien. Elle craint bien plus les êtres humains que les animaux qu’elle pourrait rencontrer au détour de hêtres ou de sapins. Elle entraîne Adeline à travers ronces et fraises des bois, l’invite à admirer les jeux d’ombres et de lumières se dessinant sur la flore au gré des rayons du soleil. Toutes les deux gambadent comme des gazelles. Elles grimpent et grimpent encore comme pour atteindre les sommets. Elles se frayent un chemin comme elles le peuvent, se prenant pour Tarzan. Elles sont les héroïnes de leur après midi et s’inventent des aventures. Elles se piquent à leur propre jeu sans même s’apercevoir que l’épaisse jungle s’assombrit de plus en plus. Bientôt la nuit les surprendra et les plongera dans les mystères du clair de lune. Elles décident de faire une petite pause sur un tronc d’arbre couché à terre. Elles sont repues d’oxygène et de sensations délicieuses. C’est là qu’Eliane annonce à sa cadette qu’elle ne sait plus trop bien où elles se trouvent et qu’il va falloir penser à rentrer. Elles n’ont bien évidement rien emporté : ni lampe, ni petits biscuits et le ciel devient vraiment menaçant. C’est très joli d’ailleurs ce bleu nuit où pointent quelques étoiles. Ah ! L’étoile du nord… les voici sauvées !! Eliane change de cap et file droit suivre son astre préféré. Tel un berger conduisant son troupeau, elle pousse de petites exclamations et les voila à nouveau entrées dans un autre jeu, nocturne cette fois ci. Plus elles avancent et plus elles ont le sentiment de tourner en rond. Adeline commence à s’affoler un peu et voit toutes sortes de choses étranges aux alentours. Elle se rappelle de cette fresque que son père avait faite dans le long couloir de l’appartement, ces yeux brillants au milieu d’une forêt vierge. Elle avait tellement peur de traverser cette jungle pour arriver à la salle à manger ! Elle se revoit parcourant ces quelques mètres à la vitesse grand « V » et n’a plus qu’une envie maintenant : fuir, détaler à qui mieux-mieux. Elle est toute tremblante mais heureusement Eliane la rassure. Ah ! L’importance de la grande sœur ! C’est vital.

    Dans la lueur de la lune et sous la pluie désormais, Eliane entre-aperçoit un petit muret blanc. Ce sont certainement les vestiges d’anciennes canalisations, ça doit mener à un village. Elles décident de suivre ce genre de caniveau en béton et marchent encore des heures durant quand enfin se dessine dans la pénombre ce qu’elles pensent reconnaître être une église. Euréka !  Finis les tracas mais quel est donc ce petit bourg qu’elles ne connaissent pas ? Il n’y a pas un chat dehors, pas âme qui vive et il faut absolument rejoindre Sahorre. Eliane, qui n’a pas froid aux yeux, frappe à la porte d’une maison éclairée. Un homme apparaît sur le perron et écoute avec stupeur l’incroyable histoire de ces deux jeunes parisiennes. Vous pensez donc ! Isolés en pleine montagne, on n’en croise pas tous les soirs des adolescentes en perdition. L’homme, très gentiment propose de les raccompagner avec sa voiture. Elles n’avaient parcouru que quatre kilomètres et avaient atterri à Thorrent mais par quelles voies endiablées !

    Totalement insouciantes, elles ne s’inquiètent pas une seconde de ce qui pourrait leur arriver encore sur le trajet. Elles sont tranquilles et même fières de leur exploit. Lorsqu’elles arrivent sur la place de Sahorre, tout le village est là, rassemblé et prêt à entreprendre une battue. L’émoi résonne comme en écho et puis Mamette est en pleurs. Nos petits chérubins n’avaient pas pensé un instant qu’on s’inquièterait pour eux. Les gendarmes font leur rapport, Sahorre ce soir, ne dort pas. On en a des choses à raconter et chacun y va de sa verve. Le ton monte et même aussi on extrapole. L’orage se fait sentir.

    Eliane et Adeline se font toutes petites et partent se coucher sans mot dire et sans maudire. Elles n’ont pas été grondées mais elles ont pris conscience qu’on ne part pas à l’aventure sans prévenir, ni sans matériel. Elles ont compris également tout l’amour qu’une grand-mère peut donner et le mal qu’elles venaient de faire.

    C’est en toute connivence et comme deux cochons en foire qu’elles garderont ce secret au fond de leurs entrailles. Demain est un autre jour et elles tenteront de se faire pardonner.

    Il fait lourd en ce dimanche matin, non seulement dans les cœurs encore meurtris de la veille mais dans le ciel aussi. Mamette ne rate jamais la messe. Elle sort les robes du dimanche, les souliers vernis sans oublier le chapeau et le petit sac puis toute la nichée se met joyeusement en route pour l’église. Il faut marcher un peu et ça grimpe. Heureusement que Mamette avance lentement du haut de ses quatre vingt ans car crapahuter en chaussures de ville, ce n’est pas la même histoire que s’enfoncer dans la montagne avec des pataugas. Grace à  la messe, Adeline et Eliane se purgeront en mangeant l’Ostie. Hum… ça aussi c’est bon ! Et ensuite sous l’œil vigilant du village entier, elles ne manqueront pas d’aller à confesse, passage obligatoire pour accéder au purgatoire, surtout lorsqu’on ne s’est pas comportées comme des anges.

    Le curé ayant donné sa bénédiction après trois pater et un ave, tout le monde se sent allégé et s’en retourne à ses occupations dominicales, qui à l’apéro, qui au fourneau. L’air est de plus en plus pesant, les oiseaux s’excitent et piaillent dans tous les sens, le coq ne connaît plus son heure et se tourne telle une girouette vers le clocher, interrogatif. Les chiens aboient, les chats réclament des caresses à n’en plus finir. Il y a de l’orage dans l’air ! C’est décidé, après manger, Adeline s’installera sur la terrasse couverte et écrira sa rédaction. C’est le bon moment : l’inspiration se fait croissante, l’ambiance est électrique.

    Pour marquer la fin du repas, ce n’est pas la cloche d’Eléonore, l’amie et servante de Mamette,  qui retentit mais c’est bel et bien un coup de tonnerre qui déchire avec fracas la voûte céleste. Le firmament s’est habillé de noir, il fait quasiment nuit en plein jour et Adeline adore ça ! Elle n’a pas peur que le ciel lui tombe sur la tête, elle court à la fenêtre et s’emplit les poumons des odeurs de capucines fraîchement arrosées. Elle ose même quelques secondes prendre une bonne douche sous la pluie battante. Alors qu’en général on se terre par un temps pareil, la douce Adeline aime sentir et admirer cette magie de la nature. Ah, écrire au rythme du grondement du tonnerre, à la lueur des éclairs, être comme sous un dôme ensorcelée, foudroyée par la beauté du spectacle. Vite, vite, vite Adeline s’installe et gratte de sa plume des mots, des sensations qu’elle seule reçoit en cadeau à cet instant. L’orage la rend heureuse, la stimule, la calme. Elle est maintenant plongée au cœur de sa rédaction et plus rien ne compte que cet autre dimension dont elle profite grandement.

    Le calme revient, Adeline ferme son cahier, se régale de voir le torrent encore houleux poursuivre sa course puis sort raconter cet épisode si précieux à Maurice qui forge et forge, inlassablement. Elle a maintenant la certitude que quand elle sera grande, elle écrira des livres. Elle est impatiente d’être notée pour ce devoir, elle qui d’ordinaire fuit plutôt les études. Elle vient d’avoir une grande révélation en son fort intérieur. Adeline sait qu’écrire, c’est être à l’écoute de son environnement et surtout partager. Ce sera son nouveau jeu.

     


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