• Adeline a la bougeottePlus fort que Cadet Roussel ! Adeline a déménagé presqu’aussi souvent qu’elle a changé de voiture ou d’amant. Elle va au gré du vent, suivant aveuglément sa destinée. Ses parents également bougeaient beaucoup.

    Son premier logis, c’est son ami Julien qui l’a déniché, près des studios d’enregistrement des Buttes Chaumont à Paris et plus exactement rue des solitaires dans le 19ème sur les hauts de Belleville : rue prédestinée car solitude déjà bien entamée. Cette petite rue est bien connue de par la chanson d’Eddy Mitchell. Elle est sombre et mène à la place des fêtes : place prédestinée car Adeline vit d’optimisme. Les maisons, hautes de quatre étages maximum, cachent des cours et arrière-cours assez sympathiques. C’est là, au fond d’une cour pavée, qu’un petit studio meublé tendait les bras à Adeline. Elle était enceinte de six mois, abandonnée du père de l’enfant et orpheline de père et de mère. Elle avait pour voisine une dame d’un certain âge qui s’était mis dans la tête d’adopter son enfant à sa naissance ! Elle l’écarta bien vite de sa route. C’est terrible : lorsque vous êtes seule, vous êtes une proie permanente. Adeline aimait beaucoup ce quartier et allait quotidiennement marcher trois, voire quatre ou cinq heures au parc. Ne voilà pas qu’une de ses sœurs vivant au Mexique décida de débarquer pour voir le studio ! Elle venait avec son bébé nouveau-né. Adeline  cachait sa grossesse. Sa sœur resta quelques semaines,  dormit à côté d’elle dans son grand lit et n’y vit que du feu ! Elle était complètement déconnectée de la France. Aussi lorsqu’elles revinrent toutes les deux du marché avec un carton de pommes, elle les mit directement dans l’évier et les nettoya avec du liquide vaisselle… Zarbi vous avez dit ? Elle craignait les maladies. Avant son départ à Mexico lors de ses fiançailles, soit deux ans avant le décès de leur maman, elle avait eu le privilège d’être dotée d’un beau cadeau : une petite voiture car elle travaillait à la gare St Lazare et avait besoin d’être véhiculée. Adeline avait récupéré cette voiture et s’en servait beaucoup. Sa sœur la vendit sans lui en parler et elle se retrouva du jour au lendemain à pieds puis la miss repartit faire sa vie à Mexico. Ah ! Elle s’en souviendra du passage du Mexique rue des solitaires ! Après son départ, une autre de ses sœurs ainées débarqua et mit les pieds dans le plat. Soit, elle l’avait gâtée en lui achetant des vêtements adaptés mais elle lui gâcha sa joie en contactant, à son insu, les parents du père de son enfant à Lille. Adeline ne sut jamais ce qu’elle leur avait bien pu dire, ni comment elle les avait  retrouvés mais le fait est qu’ils crurent qu’elle voulait de l’argent. Elle perdit tout espoir de le revoir un jour et avait honte de ce comportement. Elle coupa le contact avec sa soi-disant protectrice.

    Son second logis fut une bénédiction de l’association des Ailes Brisées. Depuis le décès de son père en 1965, Adeline et ses sœurs avaient été convoquées quelques années de suite pour l’arbre de Noël. Cette association s’occupait des veuves et orphelins d’aviateurs militaires mais la famille d’Adeline était reconnue pour avoir été là dès l’origine de l’aviation en France. Ils étaient civils et son papa était moniteur instructeur. Son parcours en tant que pilote était honorable. Avec son frère, qui fut nommé tuteur d’Adeline et de sa petite sœur lorsque leur maman décéda elle aussi, ils avaient été réquisitionnés pendant la guerre car ils étaient d’excellents pilotes. Les « Ailes Brisées » les avaient donc acceptées dans leur cercle, place St Augustin à Paris. Adeline accoucha prématurément d’un joli petit garçon et l’association prit les choses en main. Le studio de la rue des solitaires étant trop petit et manquant de confort pour y vivre avec un enfant, ils lui dénichèrent un appartement spacieux en banlieue. C’était une surprise, tout s’était fait incognito lorsqu’elle allaitait tous les prématurés du coin, depuis son lit d’Hôpital. Oui, Adeline était une vraie vache à lait et produisait à en revendre, sauf que mal informée, elle rendait ce service gratis. Elle est comme ça Adeline : elle donne, elle donne et ne demande rien en échange. Elle n’avait absolument pas envisagé de quitter son studio, elle y était heureuse mais il fallait bien se rendre à l’évidence. Donc, ils ont bien fait et elle n’eut pas son mot à dire… Heureusement ! Car elle n’est pas toujours facile à vivre… L’association lui donna rendez-vous à Bobigny, dans la Seine St Denis (le neuf trois comme on dit maintenant (93)). Elle se rendit à la gare de Colombes avec son bébé dans son couffin. Cela lui parut être le bout du monde ! Elle ne connaissait absolument pas la banlieue et elle marcha, marcha, se perdit et remarcha encore. C’est lourd un couffin, même si le bébé dedans ne pèse que quelques kilos. A la gare de Bobigny, l’association et la sœur berrichonne d’Adeline qui était de connivence, l’attendaient, impatientes de lui faire la surprise. Elles remontèrent une longue rue, débouchant sur une petite résidence HLM (Habitation à loyer modéré : ce qui était vrai à l’époque. De nos jours, il n’y a plus rien de modéré !). 1er étage droite : on lui remet les clefs. « Voici ta nouvelle maison ». C’était un F3, douillet et clair avec balcon. Depuis la grande baie vitrée, Adeline aperçut des enfants jouer sur la pelouse. Quel beau cadeau on lui avait fait là ! Les Ailes brisées avaient en plus, obtenu les soins gratuits à 100 % et pour elle et pour son bébé, ainsi qu’un an de lait et couches gratuites. Elle n’avait plus qu’à trouver un job et une nourrice. Les Ailes Brisées la suivirent pendant de longues années et étaient toujours là en cas de coup dur. C’était sa seconde famille. L’assistante sociale était âgée et prit sa retraite. Elle décéda malheureusement quelques temps après son départ. C’était un peu mère Theresa ! Les Ailes Brisées proposèrent à Adeline un poste dans l’armée lorsqu’elle fut installée dans son nouveau logement. Adeline prit peur et refusa. Cela a été une de ses plus grosses gaffes ! Elle était profondément antimilitariste alors qu’elle ne connaissait rien de l’armée. Ce qu’on lui proposait était un poste civil dans l’armée. Elle aurait eu un salaire correct et un avenir tout tracé mais il faut croire que tel n’était pas son destin ! Elle préféra galérer encore un peu… Adeline était désormais balbynienne dans le neuf trois. Ne cherchez pas l’erreur ! J’enlève le décodeur : les balbyniens et les balbyniennes sont les habitants de Bobigny dans le 93 (neuf trois). Je vous rassure, il n’y a rien de contagieux ! Elle avait beau regarder autour d’elle, elle ne voyait plus ces vieilles pierres qui font le charme de Paris. La banlieue de ce côté-ci n’est faite que de béton. Seule subsiste la vieille église avec son clocher. Elle est perdue, je dirais même cernée par des tours froides de chez froides. Elle semble irréelle ! Le clocher atteint le cinquième étage du bloc d’en face. J’imagine la joie des locataires lorsque les cloches sonnent. Pour se rendre au centre-ville, elle devait descendre la longue petite rue. Tout en bas se trouvait un arrêt de bus. Combien de fois a-t-elle remonté cette rue, son bébé dans un bras, ses courses dans l’autre, le souffle haletant et bravant tous les temps. A part le béton, il y avait aussi l’immense centre commercial avec son parking souterrain. C’était la seule attraction du coin.  Lors de la venue du père Noël pour animer un peu ce paysage futuriste et alors que son fils commençait à peine à marcher, elle se  rendit à la banque face au supermarché. Trop chargée, son fils restait à ses côtés dans ce lieu sécurisé et jouait avec des prospectus. Elle remplit ses papiers et décida d’emmener le petit voir le père Noël à une centaine de mètres, au centre du centre. A sa grande surprise, il avait disparu ! Il n’était plus dans la banque ! Horreur et désespoir… Elle demanda tous alentours et tous azimuts si quelqu’un l’avait aperçu. Rien… Panique à bord. Elle fit faire une annonce micro. Rien. Personne ne se manifestait. Elle arpenta les multiples allées bien décorées en se fichant bien de tout ce cinéma clinquant et quelle ne fût pas sa surprise de trouver son petit bonhomme dans les bras du père Noël ! La banque, ça l’ennuyait, alors il était allé voir le père Noël de son propre chef… Comme un chef, du haut de ses trois pommes. Et le père Noël n’avait pas entendu l’annonce : ben oui ! À cet âge, on est un peu sourdingue ! Ca : c’était pour la petite anecdote. Elle était bien dans son F3 hormis ses voisins très snobs, voire parvenus et qui la zieutaient derrière le carreau car je le rappelle : à cette époque, une mère célibataire était une tare. Alors on épiait ses moindres gestes, des fois qu’il y aurait lieu d’alerter la DASS encore une fois ! Adeline ignorait ces gens-là, seul moyen de ne pas être perturbée. Très vite, elle se mit en recherche de travail car maintenant, il fallait assumer le loyer et l’éducation du petit. Cela fut facile, à cette époque il y avait du travail pour tout le monde et on pouvait s’offrir le luxe de changer d’employeur comme de chaussettes. Elle trouva une nourrice non loin de chez elle. Tout allait bien jusqu’au jour où elle rencontra son futur mari, dans le cadre de son travail. Il lui en fit voir de toutes les couleurs : pour vous dire,  sur deux ans de mariage, Adeline dut faire huit mois de psychothérapie. Afin d’arrondir les angles, elle décida de prendre une épicerie en gérance avec son époux.

    Ils emménagèrent à Saint Denis (toujours dans le neuf trois). Ils devinrent des dionysiens. La superette était toute petite : deux rayons au centre, un rayon réfrigéré sur le côté pour les produits frais, un étalage de fruits et légumes en devanture. Le logement de fonction était à l’étage. C’était une vieille maison avec pignon sur rue et vue sur la cour depuis la salle à manger. Il y avait de l’espace. Au rez-de-chaussée, le magasin débouchait sur une immense cuisine qu’ils aménagèrent en petit studio avec accès sur la cour dont ils étaient les seuls bénéficiaires. De l’autre côté de la rue, il y avait de nombreuses allées venues au bistrot des trois marches, tenu par Maurice. Le quartier était surtout composé de bretons venus travailler à la capitale. Un peu plus loin, il y avait la zone : une cité craignosse mais qui les laissait tranquilles, leur fief étant en cercle fermé ou avec les bandes rivales des 4000 à Aubervilliers.  C’est toute fière qu’Adeline ouvrit son magasin à six heures du matin, après avoir lessivé le sol. On ne se rend pas compte du travail imposant que représente un commerce. Il y avait le livreur de produits frais, l’entretien de la boutique, les commandes, le réappro, le stock, les contrôles sanitaires, la caisse, les comptes et les dépôts à la banque. Il fallait déposer l’argent de la recette deux fois par jour et la banque se situait dans la cité voisine. Adeline n’était jamais rassurée mais il ne lui est jamais rien arrivé de fâcheux à ce propos. Son mari jouait les grands seigneurs au bon cœur et offrait des tournées générales avec l’argent qu’il prélevait dans la caisse. Leur couple était déjà en péril et Adeline riait jaune. Un soir en hiver, alors qu’il faisait une nuit d’encre de chine, une dame toute en noir pénétra dans le magasin. Adeline était seule. La dame était vêtue de deuil du petit orteil à la racine des cheveux. Son maquillage aussi était noir et amplifiait la dureté de ses billes qui lui servaient d’iris. Sans un mot, elle fit les cent pas devant l’étalage de légumes, fixant Adeline du regard puis disparut, toujours en silence. Elle lui glaça le sang. Adeline resta une bonne demi-heure, perplexe, se demandant bien ce qu’elle était venue lui annoncer ! Il ne faut pas oublier que son père avait eu droit à à peu près la même apparition, un an avant sa mort lorsqu’il tenait son auto-école. Un an après, jour pour jour, il décédait. Alors vous comprendrez qu’Adeline avait quelques raisons de se poser des questions ! Quelques jours plus tard, elle eut une dispute plus violente qu’à l’ordinaire, avec son époux. C’était certainement pour une broutille comme bien souvent dans les couples mais le fait est qu’il lui mit un coup de poing en pleine face, la déclarant KO sur le carrelage de la boutique. Puis elle tomba à nouveau enceinte et le bientôt futur ex devint de plus en plus violent, notamment avec le fils d’Adeline. Trop, c’était trop. Ils démissionnèrent de la gérance et durent quitter le logement de fonction.

    Ils emménagèrent un mois plus tard dans un logement sis en rez-de-chaussée d’un vieil immeuble, à Epinay/seine, toujours dans le neuf trois mais de plus en plus près du 95. Plus ça allait, plus Adeline fuyait la proche banlieue de Paris qui devenait invivable. A Epinay, ils devinrent des spinassiens.  Je vais faire un vilain jeu de mots mais ils quittaient la vinasse de chez Maurice pour la spinasse… Hélas, hélas, mais n’hélas, bonjour la mélasse ! L’appartement donnait sur une cour dont ils avaient l’usufruit. Il y avait deux chambres, une salle de séjour, une toute petite cuisine carrelée de vert d’eau, une toute petite salle de bain et des toilettes. Le sol brillait par son parquet, la peinture des murs craquelait, les plafonds étaient hauts et ornés de frisure blanche. L’appartement était en contre bas. Ainsi, depuis la salle de séjour, il suffisait d’enjamber la fenêtre pour être dans la petite rue perpendiculaire à un grand boulevard toujours comblé d’un trafic intense. Il y avait au moins quelqu’un de comblé dans l’histoire : le boulevard ! Adeline n’aimait pas la ville d’Epinay/seine. Elle la trouvait impersonnelle et triste. Il se passait d’ailleurs beaucoup de choses que je qualifierais de maléfiques. Un après midi, alors qu’elle glandait dans le canapé, elle vit passer devant sa fenêtre, un homme, tombé du quatrième étage. Il s’était suicidé. Elle n’eut pas le temps de dire ouf, elle entendit plouf. C’est impressionnant le bruit d’un corps s’éclatant au sol après une telle chute. C’est là qu’on réalise que nous sommes composés de 80% d’eau. C’est dans cet appartement de poisse qu’Adeline envoya valser son mari et demanda le divorce. Puis elle rencontra un beau rital qui la mit en contact avec une de ses tantes qui logeait à Clichy/seine (92) et elle obtint un petit F2 dans le même immeuble. C’était une vieille bâtisse. En façade, les propriétaires avaient des appartements assez luxueux. Au fond de la cour, après avoir escaladé un escalier en colimaçon sentant bon le bois verni, nous débouchions sur un trois étages avec fenêtre sur cour. Il n’y avait pas de salle de bains mais le logement était assez sympathique par sa rusticité. Par contre, c’était un vrai piège en cas d’incendie ou autre. Il n’y avait aucune autre issue que ce petit escalier étroit. Adeline avait récupéré une chienne qu’elle nomma Chipie, sur une idée originale de son fils. Chipie portait bien son nom… La vache de chienne ! Elle dépouilla complètement sa chère et tendre 2 chevaux verte qu’elle appelait « sa grenouille » d’ailleurs, tant elle s’éclatait avec ! Chipie avait aussi dépouillé le canapé. Forcément c’était une chienne croisée avec un bâtard ou un pied de tabouret, c’est comme vous voulez et de surcroît à tendance chien de chasse, avec de longues oreilles. Alors, un chien de chasse dans un F2, ça tente de creuser le sol et à défaut, ça creuse les cousins bien tendres. Un soir, lorsqu’Adeline rentra à la maison, elle sentit une forte odeur de cramé depuis la cour. Elle monta illico les marches quatre à quatre pour découvrir… Ah la petite conne ! Elle avait pissé sur la rallonge électrique qui trainait à terre. La prise avait pris feu mais heureusement s’était éteinte assez vite pour que cela ne se propage pas. Le plancher était noir de l’impact et Chipie, planquée au fond de la salle, les oreilles basses et la queue entre les jambes. Elle avait dû se prendre une bonne décharge ! Il n’y avait pas de chauffage dans cet appartement. Alors Adeline acheta des radiateurs électriques. Une nuit : elle se réveilla en sursaut, sentant une forte chaleur. Elle ne savait pas si elle rêvait ou si elle était en pleine réalité surréaliste : le petit lit de son fils  était en feu. Le temps que cela fasse le tour dans son esprit encore endormi, elle bondit dans les flammes et attrapa le petit, d’un coup. Elle ne sait toujours pas comment elle a pu avoir ce courage ! Elle n‘a pas réfléchi et a foncé. L’enfant fut  sauvé. Elle avait heureusement été réveillée juste à temps car il ne fut même pas touché par les flammes. Par contre, la couverture continuait de flamber. Adeline réussit à éteindre le feu en versant des casseroles d’eau puis elle ouvrit la fenêtre pour que cette épaisse fumée noire s’échappe. Il y eut plus de peur que de mal. Le radiateur était trop près du lit et lorsque le petit se retourna dans son sommeil, la couverture était tombée sur le radiateur. Tout ceci se passa à une vitesse éclair et si j’ose dire, les voisins n’y virent que du feu ! C’est le lendemain matin qu’ils sentirent l’odeur et constatèrent les traces noires au-dessus de la fenêtre. Il faut dire que cet immeuble était occupé par des personnes âgées et qu’Adeline était au dernier étage. Juste en face, il y avait le marché de Clichy/seine, à deux pas de la porte de Clichy. C’était la vie parisienne et en 1978, cette banlieue était richement fréquentée. Adeline n’avait même pas à prendre la voiture pour installer son étal et l’école était deux rues après le marché. Mais que demande le peuple ? Tout baignait dans l’huile ! Tout roulait comme sur des roulettes. Le marché de Clichy se faisait trois fois par semaine. Il y avait juste la petite sœur à emmener chez la nourrice. Le beau rital s’avéra être un maquereau en puissance. Au bout d’un an et demi, Adeline le quitta mais monsieur s’imaginait qu’elle était partie sur un coup de tête et il vint frapper à sa porte. Il ne fut pas déçu du voyage, le mec ! Primo, lorsqu’il s’aperçut que sa clef ne fonctionnait plus sur les serrures et secundo lorsqu’elle lui  annonça qu’elle pouvait très bien porter plainte contre lui. A dater de cet instant, il n’eut de cesse de l’effrayer. Chaque soir, à heures tardives, il y avait des bruits étranges sur le palier, qui, je vous le rappelle, était un vrai piège. Aucune fuite n’était possible : c’était un coupe gorge. Une nuit, tremblante de toutes parts, Adeline appela la police. Allo ? Ne quittez pas… Au bout de cinq bonnes minutes, un fonctionnaire répondit ceci « Cela n’est pas de notre ressort, vous devez appeler la gendarmerie ». Adeline insista et l’agent lui donna enfin le numéro de la gendarmerie. Elle aurait pu se faire tuer mille fois ! Rebelote : elle expliqua sa peur pendant que le rital se prenait toujours pour un gentleman cambrioleur. « Vous n’êtes pas blessée ? » « Non. Il est derrière la porte et tente de la forcer » « Il n’y a pas de mort ? » « Non. Je vous dis que je suis en réel danger » « Nous nous déplaçons uniquement lorsqu’il y a au moins un blessé. Venez faire une déposition demain »  Voilà. Adeline resta tétanisée et dégoutée par l’attitude de ces fonctionnaires, qui agissent probablement, selon les ordres reçus du gouvernement. Quelques minutes plus tard, elle entendit du bruit en bas, dans la cour. Puis elle aperçut de la lueur. Les gendarmes étaient quand même venus faire une ronde. Les bruits cessèrent sur le palier. Le rodeur était parti. Ouf ! Il y a quand même un peu d’humanité chez un gendarme !

    Les gendarmes avaient beau faire leurs rondes, Adeline avait peur en permanence et vivre dans ce piège, devenait insupportable. Elle avait besoin de souffler un peu, de chasser ses angoisses. Puisque ses enfants étaient en vacances chez sa sœur dans le Berry, elle décida de prendre un peu de repos avec eux. Cela ne pouvait être que bénéfique, primo pour les enfants et pour elle-même, secundo : de profiter de l'air pur de ce lieu-dit niché au bout du monde car le Berry, c'est le bout du monde ! Sa sœur était contente de la voir. Au bout de quelques jours, n'étant absolument pas prête à affronter à nouveau cette ambiance de Clichy, Adeline proposa à sa sœur de louer la petite maison de pierre située sur le côté de la ferme, face à la vieille grange abandonnée. La masure abritait un grand lit deux places tout juste coincé entre les quatre murs épais faits de pierres berrichonnes. Il n'y avait ni fenêtre, ni cheminée, juste une petite porte donnant directement sur la gadoue en temps humides. Adeline était bien entre ses quatre murs. Elle se douchait dans la grande maison et mangeait souvent à la table de sa sœur tout en tentant de respecter sa liberté. Elle ne voulait surtout pas être envahissante. Elle inscrivit les enfants à la seule et unique école, voire classe du secteur. La maîtresse s'occupait d'enfants de tous âges. Le fils d’Adeline apprit à monter sur un vélo dans cette campagne vallonnée. Il n'aimait pas trop l'école et le fit comprendre quand par une belle matinée, alors qu’Adeline sillonnait les routes, allant vaquer à ses occupations, la police doubla sa belle DS bleue chargée à bloc et lui fit signe de stopper. Tremblante, elle s'exécuta, sachant bien qu’elle était en retard pour payer l'assurance. Elle était certaine que la police allait lui chercher des noises. Et bien nenni ! Pas tout du tout ! "Vous êtes bien Madame Adeline ?".... Euh... Dans sa tête, elle se disait "Ils sont balaises dans le Berry ! Comment savent-ils cela ?" "Oui" "suivez nous, votre fils est à l'hôpital. Il se plaint du ventre". Ils mirent le gyrophare en route et Adeline les suivit, encore plus tremblante. Arrivés à l'hôpital, le petit allait très bien ! Il avait simplement voulu lui montrer qu'il préférait la suivre dans son travail plutôt que d'aller apprendre à écrire.

    La nature, ça inspire les petits comme les grands ! Dans la série « Maman, je te fais pleurer, je te fais rire », la fille d’Adeline, voulant imiter son grand frère ou son cousin, je n’ai jamais su qui des deux a été l’idole, se tenait tout debout devant le cerisier. Pan pan cul cul… Elle n’avait pas d’culotte ! Non pas comme le corbeau ouvrant un large bec, mais plutôt comme le roseau pliant au vent, la petiote pissait le long du tronc. Il n’y a que la fille d’Adeline pour avoir des idées aussi bizarres ! Elle ne peut pas la renier. Les cerises s’en souviennent encore, elles n’ont pas dérougit et les cerises sont cuites ! Le commerce aux Poux n’était pas rentable. Le Berry est une région pauvre et les gadgets que vendait Adeline étaient déplacés, farfelus en ces basses terres. Les économies sombraient et elle devait commencer à envisager son retour à Clichy mais pas avant la prochaine rentrée scolaire. Ce n’était pas plus mal car le temps passait et le beau rital avait certainement lâché l’affaire. En attendant, elle était tranquille : il ne risquait pas de la retrouver dans ce trou perdu… Ce petit trou de verdure comme dirait Rimbaud. Un soir, en rentrant du boulot, la sœur d’Adeline lui dit « Devine qui es venu ? ». Adeline fouilla dans sa tête, ça ne pouvait pas être son rital car elle lui avait juste parlé du coin mais sans plus et sa sœur n’ayant pas le téléphone en ces temps-là, on ne pouvait pas la trouver sur l’annuaire « Sais pas ! « « Ton mec est venu ». Incroyable mais vrai ! Il l’avait retrouvée. Le hasard se mêlant encore de sa vie, il s’est trouvé qu’une tante du dit rital avait sa maison de campagne à juste un kilomètre de là et qu’il était venu lui rendre visite. Au café, les ragots allaient gaiement… « Et puis, les jeunes de la haut. Cre ven Diuous, tu sais ben……les Poux… Et tata ti et tata ta… Y sont bizarres quand même ». Il avait vite fait le rapprochement. La sœur précisa qu’il reviendra demain. Adeline le revit donc et ils s’expliquèrent posément, après avoir passé une dernière nuit ensemble. Toute crainte étant désormais révolue, elle pouvait retourner à Clichy sereinement. Elle y rencontra un homme d’affaires vivant à Paris dans un appartement luxueux. Il avait une grosse voiture Citroën d’un vert pas beau. Adeline avait sa grenouille verte, Paul avait un crapaud qui perdit son moteur lors d’un déplacement professionnel, sur l’autoroute. Ah ! Que vivent les 2 Chevaux, c’est du costaud. Un soir, en rentrant du travail et alors qu’elle se garait, un homme l’aborda car il voulait lui acheter sa grenouille verte. Ah ! Euh… Tope là. Affaire conclue en cinq minutes.

    Cela faisait maintenant un an qu’Adeline était intérimaire dans l’aéronautique, qui se décida à l’embaucher. Elle accepta cette embauche avec plaisir bien qu’étant mieux payée en intérim car elle pourrait ainsi bénéficier du 1% patronal et accéder à un logement correct. Cette année provisoire lui permit de pouvoir faire la demande de logement sitôt l’embauche signée et elle fut très vite logée à Colombes, près du parc de l’île marante et, bizarrement, juste à cinquante mètres de l’hôpital Louis Mourier où son fils était né, neuf ans plus tôt. De sa fenêtre, elle pouvait apercevoir la maternité. C’était un F4, au quatrième étage d’un immeuble tout en long. Depuis le large balcon, elle pouvait voir la Seine. Comme d’habitude, son voisin du dessous était maniaque et pénible à vivre. Tous ses voisins ont toujours été une galère dans sa vie. L’appartement était spacieux et Adeline eut très vite envie de le rendre joli. Elle attaqua les papiers peints, la moquette, elle refit tout avec l’aide de sa copine Sylvie. Ce logement tombait à pic car la petite sœur d’Adeline appela pour lui signaler qu’elle était dans un foyer à Senlis, dans l’Oise. Elle voulait divorcer de son meunier corse et était venue se réfugier en région parisienne. Adeline était très heureuse que sa petite sœur Ghislaine soit dans la région. Avec les enfants, elle était allée lui rendre visite à Senlis. Ghislaine et Adeline étaient très soudées depuis la plus tendre enfance. Ghislaine logeait dans un foyer pour travailleurs immigrés, en périphérie de la ville et avait trouvé un job de pompiste à la station d’essence, juste avant d’attraper l’autoroute A1. Elle était courageuse et ne reculait devant aucun obstacle. Comme Adeline, elle pensait qu’il n’y a pas de problème mais juste des solutions. Adeline eut beaucoup de peine de la voir dans cet environnement. Ce foyer était un vrai coupe gorge pour une jeune femme seule et de surcroît française, car elle était bien la seule et unique rescapée du pays ! Nous étions en hiver et dès la tombée de la nuit, les yeux brillants de tous ces mâles luisaient dans l’ombre tel des yeux de chats guettant leur proie. Ghislaine n’avait pas peur et pourtant, elle aurait dû ! Ils étaient là sur le pas de la porte et pour rentrer chez elle, il fallait inévitablement traverser cette horde en chaleur et de plus Ghislaine était jolie ! Sa chambre était cependant fort agréable et elle bénéficiait de toutes les commodités. Ayant depuis peu son appartement à Colombes et n’ayant pas encore restitué celui de Clichy, Adeline proposa à sa petite sœur d’habiter Clichy. Elles ne feraient pas les formalités, ainsi elle aurait juste à s’installer sans frais. Il suffirait qu’elle paye son loyer et charges et le tour était joué. Elle sauta évidemment sur cette aubaine. Ce n’était pas important que le loyer reste au nom d’Adeline car elles s’entendaient bien. Ghislaine emménagerait dans quelques semaines, le temps de prendre congé de son job. Toutes deux n’avaient pas prévu que le meunier la retrouverait. Il débarqua à Senlis avec sa GS marron immatriculée en corse.

    Il n’était pas question que Ghislaine revienne sur sa décision de divorcer. Elle lui céda sa chambre de Senlis et s’installa à Clichy. Ils se voyaient régulièrement et Adeline tremblait pour sa petite sœur. Léonard avait le surnom de « renard » dans sa montagne corse. Il était rusé comme cet animal et en avait d’ailleurs la forme des yeux. Il était tout petit et tout ridé, on aurait presque dit un asiatique. Fort de ses inquiétudes et soupçons, Adeline avait demandé à Ghislaine « Tu n’as pas peur qu’il te fasse des ennuis ? Comment peux-tu le recevoir chez toi ? Je tremble pour toi ». Sur quoi, elle répondit calmement « Qu’est-ce que tu veux qu’il me fasse ? C’est un petit vieux. Il me fait pitié plus qu’autre chose ». En effet, Léonard était de vingt-cinq ans plus âgé que Ghislaine mais à soixante-trois ans, on n’est pas si vieux que ça et les craintes d’Adeline se renchérirent. Elle avait vraiment un mauvais pressentiment. Avant de faire sa demande de logement pour Colombes, Adeline avait craqué devant le désarroi de son fils et l’avait retiré de ce pensionnat à Conflans. Il avait réintégré l’école de Clichy où il retrouva avec joie son petit pote magrébin avec lequel il fauchait les emblèmes des voitures. Lorsque Ghislaine fut arrivée, elles décidèrent de laisser le fiston finir l’année scolaire à Clichy. Ainsi, Adeline l’emmenait tous les matins de Colombes à Clichy et il rentrait le soir directement chez Ghislaine. Il avait la clef et n’attendait sa mère qu’une heure à peu près, le temps qu’elle rentre de son travail. C’était une solution pratique et Ghislaine était quasiment toujours là lorsque le petit rentrait de l’école. Adeline invitait souvent Ghislaine à manger chez elle. Lorsque son meunier était là, elle l’invitait aussi, à contre cœur mais Ghislaine ne voulait pas le blesser, alors elle jouait le jeu. Ils passèrent les fêtes de fin d’année ensemble. Léonard, à priori, se sentait bien chez Adeline à Colombes et il commença à lui faire des avances. Elle était scandalisée ! Elle avait de plus en plus de mal à le recevoir dans sa maison mais c’était le beauf ! On ne choisit pas sa famille. Fort heureusement, il rentra en corse après les fêtes et Adeline poussa un OUF de soulagement. Elle était elle-même en pleine procédure de divorce et avisa sa petite sœur des tracas que cela  occasionne. Ghislaine n’avait pas d’enfant et ne s’inquiétait pas, mais elle avait quand même mit toute l’assurance vie de leur maman pour sauver la châtaigneraie de son mari et Adeline savait bien que là, il y aurait comme un os ! Tranquille et rassurée car Léonard avait réintégré ses pénates, Ghislaine venait souvent passer le weekend chez Adeline et cela reste de beaux souvenirs. Ghislaine était intelligente. Adeline l’admirait. Elle avait repris les études et apprenait maintenant le sanscrit, autrefois parlé dans le sous-continent indien. Elle apprenait aussi la religion bouddhiste et se levait à quatre heures du matin, étendait un tapis sur le sol, prenait une position genre « lotus » et priait. Ce weekend de début avril 1983, Ghislaine était là et s’était fait cuire deux œufs à la poêle, puis s’était mit de la crème sur le visage avant de partir à son cours de sanscrit. Elle prenait soin de son corps et de son âme et cette image est restée gravée à jamais dans l’esprit d’Adeline. Elle laissa son cartable noir chez elle et lui donna rendez-vous pour tard dans la soirée.

    La soirée se passa et Ghislaine ne rentra pas. Adeline trouvait cela étrange mais Ghislaine était tellement bizarroïde ! Adeline pensait qu’elle était certainement à Clichy ou quelque part avec des amis et qu’elle allait revenir le lendemain car de toute façon, elle avait besoin de son cartable. Elle se coucha. Dans cette nuit du 8 au 9 avril 1983, à quatre heures précisément, elle se réveilla en sursaut. Assise sur son lit, les yeux grands ouverts, elle voyait une image devant elle : deux têtes de squelette. Une était une tête de mort comme on en voit dans les musées et l’autre était une tête de mort avec les yeux vivants. Elle eut peur car devant cette vision, elle craignait qu’il ne soit arrivé quelque chose à Ghislaine dans ce Clichy de malheur...

     

    Lire de texte en entier : Télécharger « Adeline a la bougeotte.pdf »


    7 commentaires
  • Adeline et sa courForcément ! Elle était beaucoup trop jeune lorsqu’elle perdit son père et cela n’est pas sans conséquences sur sa vie amoureuse : manque affectif, proie idéale souvent piégée.

    Il est son premier mec. Adeline a dix ans et entre en classe de sixième  au lycée Marcellin Berthelot à St Maur des Fossés dans le Val de Marne. Il a une belle gueule Jean-Marie ! Elle s'arrange au fil des mois pour avoir le bureau jouxtant le sien. Ils s’entendent bien et deviennent inséparables. Y a pas à tortiller, il y a des affinités mais à cet âge, on pense plus à faire des bêtises qu'à l'amour et ils en font des vertes et des pas mures ! Adeline serait bien incapable de nous dire le contenu des cours, son unique apprentissage était sa relation avec ce mec mignon, brun aux yeux noirs et tout petit. Un soir où elle avait envie de lui parler, elle lui téléphona. Y a pas à tortiller, lui aussi l'aimait bien " Tu tombes à pic, je suis sous la douche ! ". À cet instant, la petite bête montait déjà. Premiers sentiments, prise de conscience, déclic. Elle lui a fait quelques belles frayeurs ! Pour exemple cette fois où, en plein cours et en vives malices, il fit mine de s’agrafer le doigt. Quel humour ! Adeline a haï les agrafeuses pendant des années. Il n’a pas eu le temps d’aller jusqu’au bout de sa plaisanterie, Adeline  gisait déjà là, sur le plancher et on l’emmena – en fauteuil s’il vous plait – jusqu’à l’infirmerie où elle eut beaucoup de mal à revenir à la vie.  Personne ne connaissait son degré de sensibilité et surtout pas ses amants ! Elle a toujours caché ses faiblesses aux hommes qui lui plaisaient. Cette fois, Jean-Marie avait forcé le secret ! Ils n'ont jamais fricoté ensemble, leur amour  restait platonique mais gravé dans leurs mémoires. On n'oublie pas son premier amour. Ils se sont perdus de vue lorsqu’Adeline a changé de lycée pour son entrée en classe de quatrième  au lycée Jean de La Fontaine à Paris 16ème  car sa maman avait la folie des grandeurs et avait trouvé un appartement dans le 17ème, ce qui la fit fréquenter les quartiers chics de Paris... Autre monde ! Autres connaissances. L'appartement était situé avenue de Wagram, au sixième étage, près de la place des Ternes. L'épicerie du coin était simple et livrait les courses à domicile. C'est là qu’Adeline fit la connaissance du commis : un homme d'au moins vingt-cinq ans alors qu’elle n'en n'avait que seize. Il était un vieux à ses yeux et l'effrayait un peu car Mamette, sa grand-mère maternelle, l’avait toujours mise en garde contre les plaisirs du sexe. Mais notre adolescente aimait l'aventure et puis ce qui est interdit est toujours alléchant ! Elle répondit aux avances du commis et il la retrouvait la nuit dans sa chambre. Elle le faisait passer incognito. La première nuit, il ne la toucha pas, ni la nuit suivante. Elle lui demanda pourquoi " Tu es si jeune ! Je ne voudrais pas te faire du mal " " Pas d'accord ! Il faut bien que je commence un jour ". Il ne se fit pas prier et rattrapa son retard. Notre Adeline perdit sa dignité mais n'en fit pas un drame. Cela s'était très bien passé, il n'y eut pas de rapports sexuels, uniquement avec la mimine. Elle était donc encore positivement correcte et avait fait un pas vers sa féminité. Elle abandonna le commis, ayant obtenu ce qu’elle voulait car en fin de compte, il ne lui plaisait pas outre mesure. En bref, elle l'a jeté après usage, elle avait découvert le mec jetable. Cette mentalité était celle de ses copines de lycée. Et oui ! Elle fréquentait des bourgeoises et ce monde-là, Monsieur, c'est un monde de pourris.

    Depuis toute petite, Adeline passait la plupart de ses vacances à Sahorre, petit village de montagne dans les Pyrénées orientales. C'est là que Mamette avait une maison sur trois étages et qui trônait sur la place ensoleillée. Les séjours y étaient heureux et Adeline avait bien évidemment sa bande de copains… des catalans. Christian avait une belle gueule lui aussi et ils avaient tous les deux seize ans, soit le bon âge pour conter fleurette, ce qu’ils firent. Adeline n'oubliera jamais le soir où pour la première fois, il la déshabilla doucement et resta quelques instants à la regarder comme si elle était un don du ciel. Elle lui céda corps et âme. Ils s’étaient cachés dans une petite pièce au fond de la salle des fêtes. Leur histoire tourna au sérieux et ils s’aimèrent plusieurs étés successifs. Pour se rapprocher d’Adeline qui vivait à Paris, il s'engagea dans l'armée. Il avait ainsi un solde qui lui permettait de venir la voir en train. Il fit le trajet une fois puis deux mais entre-temps, Adeline très complice avec sa petite sœur, faisait les quatre-cent coups. C’était l’époque hippie. Elles portaient des vêtements verts mêlés de violet et des turbans. Pour les pompes, c’était des Clark beiges à lacets. L’époque hippie les berçait forcément de musiques, la musique les entourait de copains. Ghislaine fit la connaissance d’une famille de vietnamiens : deux beaux gars et une petite sœur d’un visage si pur qu’on lui aurait donné la mer, le ciel et les étoiles. Min Thi était le plus grand, Min Tam la petite sœur et Min Sou était le copain de la sœur d’Adeline. Il jouait de la basse avec pédale wahwah qu’elles étaient allées acheter en Allemagne car c’était le début de ces engins et cela revenait beaucoup moins cher à l’étranger. Donc, elles s’étaient fait offrir ce petit voyage par leur mère, comme çà ! Juste pour rapporter du son. Min Thi jouait de la guitare électrique. Les deux frangins à eux seuls formaient un orchestre dans la chambre de Ghislaine et croyez-moi, ça l’faisait ! Adeline était alors avec son militaire mais voilà ! Comment ne pas craquer devant Min Thi et ces inoubliables soirées ? Elle ne trouva pas la solution et opta pour l’exotisme. Le Vietnam s’est bien payé sa tête, elle est vite redescendue sur terre mais trop tard, elle venait de rejeter la demande en mariage de son militaire, n’étant plus trop amoureuse de lui. Ce fût un drame pour Christian. Adeline se fit sermonner par sa maman qui la trouvait trop dure de le faire autant souffrir. Il était éperdument amoureux d’elle. Il revint encore une fois sans prévenir et dans l'intention de lui casser la figure. Il la suivit au parc Montsouris et finit par l'aborder. Il lui avoua plus tard que lorsqu'il l'avait vue dans cette jolie robe courte bleu marines à fleurs, il n'eut pas le courage de lui faire du mal. Cette robe était un cadeau de sa tante Jeanine lors d’un séjour à Nice. Elle lui allait comme un gant et elle la portait fièrement. Ainsi donc le cœur a des raisons que la raison ignore, selon le vieil adage. Adeline n’a jamais oublié son militaire et a bien souvent regretté cette erreur de jeunesse. Sa vie en aurait été tout autre et assurément bonifiée.

    Elle fréquentait maintenant le lycée Vavin qui se dressait là, tout en brique, ressemblant à une prison. Les barreaux aux fenêtres la laissaient de glace… Bof ! C’était bien parce qu’il fallait y aller ! Elle entrait en classe de seconde A5, soit trois langues vivantes + latin. Elle se refit des copains/copines et hop ! C’était reparti pour un tour de bonnes rigolades. Sa meilleure amie était corse, rousse aux yeux verts. C’était l’adolescence avec tout ce que cela comporte de sorties et crises de rires autant que prises de tête. On ne sait pas ce que l’on veut, à cet âge-là, on se cherche. Elles passaient des heures à jouer au billard dans un café sur le boulevard Montparnasse. Adeline n’avait plus de petit ami, seulement des copains. Un d’entre eux était amoureux d’elle et lui offrit un jour une superbe montre en argent qu’elle se fit faucher lors de sa fugue en Angleterre. Elle ne fréquentait plus la porte d’Auteuil mais la porte d’Orléans et la porte d’Orléans… C’est direction le sud ! Son esprit aventurier se réveilla et lui couta cher, très cher et à plusieurs reprises, car n’étant pas têtue, bornée, elle persista dans l’erreur ! 

    C’était la mode du mini. Mini jupes et m’as-tu vue, mini vélo. Adeline avait pour idole Françoise Hardy. Elle était grande et fine et les mini jupes la rendaient adorable. Qui dit idole, dit imitation. Sa maman lui avait acheté un mini vélo et elle était fière d’être à la page. Fière et innocente, fière et naïve ! Une nuit, n’arrivant pas à dormir, elle sortit son mini vélo et partit user ses jarrets dans l’enceinte de la cité universitaire, à deux pas de chez elle, porte Gentilly. Il était environ deux heures et la nuit était noire. Il faut que je vous mette dans le contexte : cité U pleine d’étrangers, parc Montsouris désertique, entrée d’autoroute au pied de la porte Gentilly. Adeline s’amusait avec son mini vélo dans les allées bien tracées et bien vertes. Elle prenait vraiment du plaisir dans sa balade solitaire mais voilà ! On n’est jamais seul ! Il y a toujours quelqu’un sur votre route. Elle croisa alors une bande d’étudiants libanais qui la stoppèrent et entamèrent la conversation. Malgré son jeune âge, elle était déjà trop bien « en formes ». Ces jeunes gens / jeunes filles l’invitèrent à boire un verre dans leur chambre. Elle trouva l’idée sympathique et les suivit, abandonnant son vélo pour quelques instants. Arrivée devant le verre de l’amitié, elle s’aperçut vite de son erreur. Ils commencèrent à se rouler des joints. Elle ne connaissait pas cela et ne voulait surtout pas connaître ! Elle ne voulait pas perdre sa raison car elle savait trop comment cela pouvait se terminer ! Elle avala donc son jus d’orange et prit congé. Elle sentait bien que son départ déplaisait et pressa le pas.  Ouf ! Elle enfourcha son mini et se sauva en pédalant à qui mieux mieux. Elle n’avait que quelques mètres à faire pour retrouver sa maison. A aucun moment, elle n’avait imaginé que ces jeunes possédaient des voitures ! Voilà pas qu’ils la rattrapèrent en faisant crisser les pneus, la faisant tomber et sans qu’elle n‘ait pu ne serait-ce que reprendre son souffle, ils l’avaient hissée dans leur vieux cabriolet et s’enquillèrent sur l’autoroute du sud. Ils lui tenaient les mains et avaient verrouillé les portes. Puis ils commencèrent à lui sauter dessus (ils étaient trois à l’arrière et deux devant). Adeline se débattait, complètement apeurée. Ils sortirent des poignards qu’ils lui collèrent sous la gorge, lui conseillant de ne pas résister. Outre l’angoisse de se faire zigouiller, elle craignait de se retrouver dans la traite des blanches à Tanger, car à cette époque, il y avait beaucoup de trafics de ce genre et d’ailleurs le magasin Tati à Barbès était impliqué dans une affaire morbide de filles qui disparaissaient alors qu’elles étaient dans les cabines d’essayage. Et puis, elle pensait à sa mère ! Quelle honte si elle apprenait cela ! Les lames des poignards piquaient sa gorge. Elle ne bougea plus et tous se soulagèrent. Heureusement qu’à cette époque, les fermetures de portes étaient mécaniques ! Ces horreurs de mecs ayant vidé leurs balloches, s’écartèrent un peu et elle réussit à ouvrir une portière puis se laissa tomber sur le macadam. Par miracle, elle ne fut pas blessée dans sa chute. Ils ne parvinrent pas à la rattraper puisque l’autoroute est à sens unique. Elle rentra à pieds. Le lendemain, il fallait qu’elle récupère son vélo pour que sa maman et ses sœurs ne se posent pas de questions. Seulement voilà ! Elle fut dans l’incapacité de se lever. Elle avait terriblement mal à l’anus et sa maman fit venir le docteur. Elle fut bien obligée de raconter son histoire. On lui fit passer des examens à l’hôpital. Dans la série « je n’ai pas de chance », elle a été bien servie ! On la mit nue et à quatre pattes sur une table avec une quinzaine d’étudiants en médecine autour et on lui enfonça  une sonde. Elle hurlait tant de douleur et de honte que sa mère sortit en furie de la salle d’attente. Bilan : fistule à l’anus. Adeline dérouilla physiquement pendant de longs mois. Moralement, elle fut marquée à vie.

    Les copains/copines de lycée habitaient tous du côté de Bagneux, Montrouge, etc… Adeline garde un goût amer de cette petite période où elle allait retrouver régulièrement ses soi-disant potes à Bagneux. Elle y a découvert ce qu’on appelait des « cages à lapins ». De grands immeubles où étaient parqués les pauvres et les immigrés. C’était le début de ces constructions qu’on nomme aujourd’hui « cités ». Cela lui déplaisait fortement. Ces potes, dont elle a complètement zappé les prénoms, s’y plaisaient ou tout du moins faisaient mine d’y être à l’aise. Pour combler les insatisfactions, ils frimaient, se vantaient de connaître le célèbre humoriste Thierry le Luron, qui était en pleine gloire et qui, d’après eux, était originaire de Bagneux. Adeline n’a jamais vérifié, cela ne l’intéressait pas. Et pour couronner le tout, ils se droguaient ! Pas des drogues douces auxquelles ils l’ont quand même initiée, mais du fort, du costaud, du hard… Celles qui vous détruisent bien. Ils passaient des heures stupidement comblées à ne rien faire d’autre que fuir ce bas monde. Ils ont commencé à faire fumer des joints à Adeline. Elle ne ressentait aucun effet, du moins c’est ce qu’elle croyait car elle s’aperçut plus tard du comportement zarbi que cela entraine. Elle ne pensait pas que fumer soit dangereux mais de toute façon, elle n’aimait pas ça. C’était juste pour faire comme eux. Elle arrêta vite fait bien fait ce petit jeu. Lorsqu’elle passa son permis de conduire trois ans plus tard, elle avait encore des trucs pas normaux du style : je vais pour passer ma vitesse et oh rage, oh désespoir… Le levier a disparu ! Je vous garantis que cela fait paniquer. Lorsqu’on dit que les drogues douces ne sont pas néfastes : c’est faux ! Il est dangereux de conduire sous leur emprise. La bande de Bagneux était assez en pétard (c’est le cas de le dire !) parce qu’Adeline ne jouait plus leur jeu mais ils feignaient la sympathie quand même. Un soir alors qu’ils s’adonnaient aux délires des drogues dures, ils ont incidemment mis un « cristal » dans sa boisson. Les tableaux ont commencé à bouger. Les personnages des tableaux se jetaient sur elle tels des démons. Elle était terrorisée. Elle se sentait mal et se souvient s’être blottie assise en boule dans le coin de la pièce. Elle était au bord du malaise tandis qu’un grand sec chevelu criait sur le balcon qu’il voulait voler. Il s’était mis nu et tous les autres se sont aussi mis en tenue d’Adam et Eve. Adeline a bien cru qu’ils allaient sauter par-dessus la rambarde du neuvième étage. Au bout de plusieurs heures, elle abordait ce qu’ils appelaient la descente, autrement dit elle reprenait ses esprits. Elle se sauva à pieds et rentra chez elle dans un état lamentable et non sans peine. Jamais au grand jamais, elle ne les a plus côtoyés. Elle fut écœurée de la drogue pour la vie.

    Il était beau : les cheveux longs et bouclés, un nez parfait et d’une grande gentillesse. Lui et Adeline, c’était une grande histoire : du sérieux à nouveau. Il lui avait été présenté par une amie, c’était le pote de son mec. Il avait réussi à obtenir la sympathie de la maman d’Adeline. Il s’était préparé un book dans l’espoir de trouver  un travail de figurant. Comment oublier sa série de photographies ? C’était vraiment un bel homme. Il présenta Adeline à ses parents et cependant le souvenir qu’elle en a n’est pas des plus agréables. Sa mère la recevait avec beaucoup d’égards et semblait l’apprécier. Elle avait mis les petits plats dans les grands. Malheureusement, Adeline fut prise d’une crise de cystite qui l’obligea à  écourter la soirée. Elle s’en veut encore énormément. Quelques temps après, ils entreprirent un voyage en amoureux en auto-stop direction le sud. Merveilleux voyage plein d’images splendides ! Ils dormaient dans les auberges de jeunesse, avec un désir ardent de prendre le petit déjeuner le lendemain matin car les dortoirs n’étaient pas mixtes à l’époque. Les plus belles régions de France ne leur ont pas échappé. Des gorges du Verdon aux baies de la Méditerranée, les couleurs ocre mélangées de pins verts embaumaient tous leurs sens tournés vers la même direction : le bonheur. De retour à Paris, Yvon ne voyait pratiquement plus son copain : il préférait la compagnie d’Adeline mais François vit cela d’un très mauvais œil et fit le maximum pour les séparer. Après de longs mois de charcutage, il eut gain de cause et Yvon disparut à jamais de la vie d’Adeline qui désormais hait les copains des copains.

     Lors de ses balades à Paris, elle avait découvert avec bonheur le quartier latin, le pont de l’île de la cité et Saint Germain des prés. Déçue par ses expériences de Bagneux, elle se rendait de plus en plus souvent boulevard St Michel. Elle aimait beaucoup se promener dans cette ambiance jeune et chaleureuse, encore inondée de baba cool, guitares et cheveux longs. Elle y fit des rencontres pour le moins insolites et petit à petit, elle abandonna le lycée pour l’aventure… Encore et toujours !

    C’était maintenant les grandes vacances, d’autant plus grandes puisqu’Adeline avait refusé l’épreuve du bac. Elle n’avait plus aucune contrainte si ce n’était celle de choisir ce qu’elle aimerait faire dans la vie. Elle n’en n’avait aucune idée. Tout ce qui lui importait à ce moment, c’était de rejoindre ses potes du quartier latin. Elle n’y passait plus des journées entières, elle y avait élu domicile. On ne parlait pas de SDF en cette année 1971. Il n’y avait que des clochards, des riches ou des français moyens. Elle avait donc décidé de vivre avec l’air du temps, près des guitaristes chevelus. Il y avait toujours un copain pour la loger. Personne n’était vraiment à la rue sauf les clochards qui eux, avaient fait ce choix. Ce n’était pas la peine de leur proposer un toit, ils n’en voulaient pas. Ils étaient heureux avec leur coup de rouge, bercés la nuit par les flots de la seine se brisant sous les ponts. Parmi les chevelus imprégnés de musique, elle fit la connaissance d’un anglais, blond aux yeux bleus et qui chantait du Bob Dylan puis elle rencontra Bernard, un Lillois qui traînait sur le pas de porte du Bistrot 27.  Le copain de Bernard se faisait appeler Jésus… Cheveux longs très crades et jeans. Pas très catholique le Jésus ! Mais Adeline était intriguée et commençait à s’intéresser à ces deux phénomènes.  Elle ne se rendait même pas compte qu’à ne plus rentrer à la maison depuis si longtemps et n’ayant prévenu personne, elle était en fugue ! Elle n’y pensait pas le moins du monde, elle s’amusait, c’est tout. Son esprit fugace prenait le dessus. Elle vivait l’instant présent, comme elle le sentait, sans aucune mauvaise pensée. Il faut dire que sa maman voyageait beaucoup pour son travail, que sa sœur aînée était invivable et que sa petite sœur la comprenait. Elle n’avait logiquement aucune raison de penser qu’on se faisait du souci pour elle. Elle était donc en fugue ! C’est Bernard qui lui en fit prendre conscience lors d’une discussion sur le pas de porte du Bistrot 27. Ils parlaient beaucoup de tout et de rien. Ils s’entendaient à merveille. Son pote Jésus était beaucoup plus terre à terre – Oh mon Dieu ! - et vidait des verres au comptoir. Adeline n’a jamais su ce qu’ils faisaient là tous les deux, des heures entières. Elle ne posait pas de questions. Un jour, elle comprit qu’ils étaient mal barrés quand ils lui proposèrent de gagner plus d’argent qu’à faire la manche, en devenant michetonneuse. Michetonneuse : c’est occuper les clients pour qu’ils restent longtemps à consommer mais surtout ne rien donner d’autre que des sourires. C’est se faire payer le champagne, c’est faire faire du profit au patron de bar. Adeline a, bien évidemment refusé cette offre. Elle ne manquait pas d’argent et ne traînait pas la rue par nécessité, mais par expérience. Elle avait un toit. Bernard comprit vite la confusion et s’excusa. Jésus, sans aucune éducation, continuait dans ses délires sans jamais rien piger. Adeline ne leur en voulait pas. Elle a toujours été tolérante et sans rancune. Elle devint amie avec Bernard qui passait maintenant une bonne partie de ses journées avec elle. Un soir pas comme les autres, Adeline se mit en tête de poursuivre l’aventure en allant passer quelques jours au bord de la mer. Bernard ne voulait pas suivre mais Jésus décida de l’accompagner. Les voici donc à l’entrée du périphérique, faisant de l’auto stop, direction la manche. Ben oui ! Comme mer, ils ne pouvaient choisir que la manche puisque ce mot leur collait à la peau. Les gens n’ont pas eu peur de Jésus et pourtant il y avait de quoi ! Ils ont très vite pris place dans une voiture qui se dirigeait sur Rouen. Ah ! Qui aurait dit à Adeline qu’un jour Jésus guiderait ses pas ! Jésus cachait des poux sous sa chevelure et des morpions juste un peu au-dessous ! Il avait tout de ce qu’Adeline détestait et ce petit voyage ne faisait que confirmer ce qu’elle pensait. Il devenait de plus en plus macho, aussi lorsqu’ils arrivèrent à Rouen, elle avait déjà en tête de poursuivre seule sa route. Au bout d’une semaine, elle lui dit qu’elle se dirigeait vers le nord, sans lui. Il est donc parti on ne sait où et Adeline s’en fichait pas mal. Elle se remémora cette journée merveilleuse qu’elle avait passée avec sa petite sœur Ghislaine à Brighton. Cela fit tilt dans sa tête et elle visa l’Angleterre. Elle n’avait que deux/trois ronds en poche. Elle prit le bateau. Arrivée sur le sol british, elle pensa que visiter Londres ne serait pas du superflu. Alors, rebelote : le pouce en l’air ! Arrivée à Londres, il fallait bien manger et dormir. Elle tenta la manche outre-manche. La nuit tombant, elle se mit en recherche d’un abri et finit, après des heures de marche à travers des ruelles sombres et pas trop rassurantes, par trouver un squat occupé par une poignée de chevelus qui jouaient de la guitare. La nuit porte conseil, c’est bien connu. Au réveil, elle décida de trouver un job. A cette époque, c’était assez facile. Elle arpenta donc les boulevards londoniens, de Victoria station vers Piccadilly sans oublier Hyde parc. Elle recherchait une boîte d’intérim. Au cours de cette balade, elle reconnut le quartier où elle avait passé une semaine quelques années plus tôt, dans le cadre des échanges scolaires. Elle était tombée dans une famille très stricte et pleine de traditions. Elle s’y était fortement ennuyée. C’était un quartier résidentiel où les petites maisons étaient toutes pareilles mais heureusement très jolies. Simplement, il fallait rentrer les idées claires pour ne pas de tromper de maison ! Elle ne trouva pas son bonheur en intérim mais dans une association qui affichait boutique sur rue. Ils lui proposèrent un logement et le couvert du midi en échange de travaux de restauration dans une auberge de jeunesse. C’était parfait. Elle arriva dans cette grande masure de trois étages. Il y avait tout à refaire ! Ils étaient une équipe d’environ vingt jeunes, tous aussi paumés les uns que les autres. Ils refirent le plancher principalement, sur les trois étages. Il y avait une bonne ambiance. Adeline se fit un copain anglais – encore un blond et pourtant elle n’aimait que les bruns en général ! – C’est par lui qu’elle apprit qu’en Angleterre, on peut se faire soigner gratuitement, même si on est étranger. Au moins, tout le monde a le droit à la santé là-bas ! Elle se sentait mieux dans sa peau, entourée de ces amis et travaillant. Elle écrit une longue lettre à sa mère pour sa fête, le 3 janvier. Elle voulait lui faire plaisir et s’excuser de tout le mal qu’elle lui avait fait. Elle eut un autre copain plus tard : un irlandais cette fois ci. Ils passèrent une nuit ensemble et le lendemain matin, il lui avait fauché sa belle montre en argent. Elle en parla aux autres membres de l’association mais personne ne voulut bouger le petit doigt. Un ami écossais, souhaitant lui remonter le moral, l’emmena quelques jours en Ecosse mais, bien que ce petit séjour fut très agréable, Adeline ne pensait qu’à cette trahison. Elle y tenait à sa montre ! Elle  décida de retourner à Londres et de porter plainte. Commissariat comme dans les films ! Attente sur une chaise dans un long couloir morose où un inspecteur faisait les cents pas. Bureau du commissaire fumant sa pipe et chapeauté melon. Elle posa plainte et subit un interrogatoire digne de la PJ. Coups de téléphone, attente. Elle ne comprenait pas très bien pourquoi on la faisait patienter si longtemps. Soudain elle pigea qu’ils avaient fait leur enquête – non sur la montre – mais sur elle et qu’au bout du fil c’était sa mère. Deux aimables policiers la conduisirent au bateau et hop ! Retour à la case départ mais sans toucher les vingt mille francs. Elle avait été renvoyée ad patres. Ce qu’il faut savoir, c’est que lorsqu’on vous renvoie dans votre pays, on vous laisse à la frontière avec dix francs à l’époque, histoire de ne pas être en état de vagabondage. Elle fit donc à nouveau du stop pour rentrer à Paris et retrouva son Bernard bien aimé, encore bercée de l’odeur outre-manche et des airs de Janis Joplin plein la tête. Ils étaient heureux de se revoir et entamèrent une relation, avec affinités cette fois-ci. Ils vivaient d’amour et d’eau fraîche. Adeline n’a jamais cherché à savoir  d’où il venait ni ce qu’il faisait à Paris. Il n’était pas très grand et assez bel homme : cheveux châtains et yeux marron. Il venait souvent la rejoindre chez elle où ils se cachaient. Personne ne le connaissait dans la famille. Une voisine leur prêtait les clefs de son appartement. Elle était brune, fine, avait alors environ la quarantaine et habitait place du marché St Honoré à Paris 1er. C’est chez elle qu’Adeline s’aperçut qu’elle était enceinte alors que sa maman venait d’avoir un accident mortel d’automobile et était soignée à l’hôpital de Lille. C’est comme ça qu’elle sut que les parents de Bernard habitaient cette même ville. Elle était en cours de passer son permis de conduire et n’avait pas un centime d’avance. Elle supplia Bernard de l’accompagner en auto-stop à Lille pour rendre visite à sa maman. Il le fit. Elle lui avait très maladroitement annoncé qu’elle attendait un enfant de lui. A peine arrivés à Lille, ville totalement étrangère pour Adeline, il l’abandonna sur le grand boulevard menant à l’hôpital. Il faisait déjà presque nuit. Elle se retrouvait donc enceinte, seule dans cette ville inconnue, à la nuit et allant voir sa mère mourante.

     

    Lire la suite (reprendre à la page 9) : Télécharger « Adeline et sa cour.pdf »

     


    8 commentaires
  • Adeline et ses vieilles guimbardesVroom-Vroom… Comment ne pas aimer les voitures lorsque son papa possède une auto-école ? Adeline est au volant de son coupé rouge et joue avec les pédales. Ö bien sûr, elle n’avance pas beaucoup, enlisée dans le bac à sable de la voisine mais dans sa tête d’enfant, elle en voit défiler des paysages ! Elle aime beaucoup quand son père innove de nouveaux modèles. Sa plus grande joie fut de rester fièrement sur le marchepied de la toute dernière Traction noire, cheveux au vent, après avoir tourné quelques tours de manivelle afin de démarrer. C’était bien pratique la manivelle, au moins on était sûr de ne pas rester en rade. Elle se souvient aussi de la Dauphine avec son moteur à l’arrière. Pour partir en balade, il fallait équilibrer l’engin, mettre une barre de fer à l’avant sinon il n’y avait aucune tenue de route. Son père était un sacré pilote et Adeline l’admirait. Et que dire de la fameuse Panhard dernier cri, bleu-turquoise et qui passait dignement dans le quartier ? Quel bonheur toutes ces voitures de son enfance ! Oui, Adeline aime conduire et pourtant qu’est-ce qu’elle était malade durant les trajets ! Il fallait s’arrêter toutes les dix minutes et elle se vidait de tout son saoul jusqu’à ce que la bile bien verte lui torde les tripes. Ses parents ont tout essayé : le persil, la menthe, la lanière accrochée à l’arrière, la nautamine, rien n’y faisait. La route la mettait dans tous ses états mais sans aucun état d’âme. Autrement dit, elle se purgeait en voiture et montait toujours à bord avec joie.

    Le top du top fut la petite Fiat 500, le pot à yaourt comme on l’appelait et qui était d’une contenance à toutes épreuves. Sept ! Ils étaient sept dans le pot tout bleu ciel : les cinq enfants à l’arrière et les parents à l’avant. Contenance à toute épreuves certes mais le moteur n’était pas fait pour tracter une si lourde charge, surtout dans la côte de Charenton. Il fallut faire descendre les enfants à mi-parcours et pousser la p’tiote jusqu’en haut… Rude épopée pour le souffle mais rires garantis. Adeline s’amusait bien avec les péripéties de son papa. Ce qu’elle adorait par-dessus tout, c’était quand il l’emmenait à l’école avec ses sœurs, dans le side-car. Quelle arrivée triomphale ! Ses copines étaient ébahies et Adeline frimait mais ses sœurs sortaient du bolide plutôt en catimini. Elles avaient un peu honte de ces extravagances aux portes de l’éducation nationale.

    Sa maman aussi conduisait bien et se régalait au volant. Ses parents étaient tous les deux des « casse-cou ». Lui s’éclatait avec ses avions et il en est mort, Elle s’éclatait avec sa mini Austin et elle en est morte six ans après. Adeline les admirait. Sa maman était toujours en retard à ses rendez-vous d’affaire mais elle avait trouvé le truc ! Pour biaiser les embouteillages de Paris, elle fit l’acquisition de cette fameuse mini Austin beige et noire, autrement dit une voiture passe partout. Mais cela ne suffisait pas à réduire ses retards. Alors elle roulait, je vous le donne en mille… sur les trottoirs. Elle prenait un malin plaisir à slalomer entre les platanes. Adeline l’accompagnait souvent dans ses déplacements. C’était un jeu malgré les longues heures où elle devait attendre dans la mini. Quand elle partait en province, elle l’emmenait aussi puisqu’elle était là à glander à la maison. Ainsi, elle était sûre qu’elle ne faisait pas de bêtises. Et puis Adeline aimait ça ! Sa maman lui a fait découvrir une bonne partie de la France et principalement la Sologne où elles avaient été invitées à une journée de chasse avec dégustation du gibier cuit au feu de bois le soir et le Nord de la France avec ses repas gastronomiques bien arrosés. Elles ne fréquentaient que du beau monde, celui qui est toujours muni d’un flash de liqueur digestive dans la poche pour pouvoir supporter les orgies de bouffe ! De temps en temps, sa maman lui laissait le volant car elle venait de l’inscrire dans une auto-école. Elle avait dix-huit ans mais à cette époque, la majorité était à vingt-et-un ans. Il fallait donc l’autorisation des parents. C’est vrai que la mini était un jouet ! Une nuit, un sanglier vint se mettre en travers de la route près de Maubeuge. La voiture a été défoncée… le sanglier s’est sauvé comme un lapin ! C’est coriace ces bêtes là et mère et fille avaient frôlé l’accident par la force du choc : plus de radiateur à l’avant de la mini et plus d’avant non plus d’ailleurs ! Elles étaient mal mais avec sa maman comme avec son papa, il n’y avait pas de problème, seulement des solutions. La mini fut réparée et la maman d’Adeline continua ses périples. Elle travaillait beaucoup avec les gens du nord. Elle avait un client à Douai et devait s’y rendre pour le 1er mai 1972. Comme d’habitude, elle proposa à Adeline de l’accompagner mais cette fois ci, elle déclina l’invitation sans aucune raison valable. Elle n’avait pas envie d’y aller, c’est tout et elle ne savait pas pourquoi. Sa maman proposa donc la même chose à une autre de ses filles qui était disponible ce jour-là. Cette dernière déclina aussi l’invitation et ne savait pas non plus pourquoi. Dans l’après-midi, la réponse arriva : coup de fil à la maison, accident sur la route de Douai. Troublant non ? Il fallait donc qu’elle soit seule et le destin s’était chargé de tout organiser. Il y a des moments dans la vie où il ne faut pas forcer le destin ! L’accident est arrivé bêtement. Une petite route au croisement d’une départementale, des blés non fauchés gênant la visibilité, la maman d’Adeline est obligée de s’avancer pour voir si la voie est libre et malheureusement une voiture arrive à 180 km/heure ! Trop tard : la mini partit en vrille. Elle n’avait pas sa ceinture et fut éjectée. Transportée à l’hôpital de Lille dans un état très grave, elle décéda après vingt-trois jours en soins intensifs. Elle était consciente de son état et à cause de la trachéotomie, demanda à Adeline de s’approcher pour bien entendre ce qu’elle avait à lui dire. « Je vais mourir » - « Mais non, maman ! Ne dis pas de bêtises » - « Si. J’ai entendu les infirmières dire qu’elles préparaient le drap blanc ». Adeline était enceinte de quelques jours et abandonnée de son ami. Elle venait de réussir son permis de conduire. Sa mère disait qu’à Paris, on se gare « à l’oreille » : un coup devant, un coup derrière et le tour est joué ! Dans la famille, elles ne savent pas gérer les embouteillages, quelle horreur ! Mais tout le monde sait bien qu’en région parisienne, on est à l’heure… à un quart d’heure près.

     

    Adeline prit donc le relais, fraichement munie de son papier rose « le permis B » comme bonnard, dans la voiture que sa maman avait achetée pour une autre de ses sœurs avant qu’elle ne parte vivre au Mexique. Elle n’en profita pas bien longtemps car elle était en vente et fut vite achetée. Adeline avait fait la connaissance de Julien qui lui sauva la mise durant toute sa grossesse. Il décida de l’emmener en week-end chez des amis au nord de la Bretagne. Lui n’avait pas son permis, c’est donc Adeline qui se mit au volant d’une voiture bien populaire, la Volkswagen, qu’on leur avait prêtée. Oui mais bon ! Elle savait à peine conduire et cette voiture lui semblait bien étrange. Les pédales étaient hautes et Adeline était bien basse sur son siège, vu son mètre et ses cinquante-trois centimètres. Ils partirent de nuit, le brouillard avançait au rythme de la voiture du peuple et l’arrivée chez les celtes fut bien hasardeuse mais Adeline avait de qui tenir et mena sa barque comme un chef.

     

    lire la suite : 

    Télécharger « Adeline et ses vieilles guimbardes pdf.pdf »

     


    12 commentaires
  • bricolo.jpg

    Depuis toute petite, Adeline avait déjà une sacrée sainte horreur de l’école. Elle s’y ennuyait profondément et comme l’oisiveté est mère de tous les vices, elle y faisait les quatre-cent coups, entraînant ses copines dans des aventures qui les menaient tout droit au piquet. Cependant elle était douée, digne d’un don… quelle farce ! Elle avait une mémoire d’éléphant, ne retenait que l’essentiel des cours et se classait toujours parmi les premières. Elle accumulait les prix d’excellence et les prix d’honneur. La gloire, elle aimait ça mais les efforts, ce n’était pas son lot. Adeline a vécu une enfance heureuse et insouciante, se laissant bercer par les joies du moment, ne voyant même pas les turpitudes de sa mère pour nourrir seule ses cinq enfants. Lorsqu’on lui demandait ce qu’elle voulait faire plus tard, c’était comme si on lui posait un problème de mathématiques, à elle, si illogique ! Travailler ? Quelle drôle de question… Alors la vie l’a mise devant le fait accompli. Adeline n’a que dix-neuf ans lorsqu’elle perd sa mère dans un accident de voiture. Déjà orpheline de son père dès l’âge de treize ans, il ne lui reste rien hormis ses sœurs qui sont dans le même désarroi qu’elle et qui vivent éparpillées aux quatre coins de la France et au Mexique. Le reste de la famille les a délaissées depuis bien longtemps : querelles de petits bourgeois, querelles d’antan.

    Voici donc Adeline prise au dépourvu et sans le sou. Elle est obligée de chercher du travail, ne serait-ce que pour survivre ! Elle n’a pas de logement non plus, les scellés ayant été mis sur la porte de l’appartement de fonction de sa mère et de surcroit – la rose sur le pompon – elle est enceinte de quelques jours et lâchement abandonnée par son compagnon.

    Adeline avait déjà acquis un large sens de la débrouille de par sa fugue en Angleterre à l’époque des hippies. Pour assumer ces quelques mois de liberté, elle avait dû participer à retaper une vieille auberge de jeunesse en contrepartie du toit et du couvert. Mais ça, c’était pour l’amusement… Un de ses nombreux quatre-cent coups. Cette fois-ci, c’est le destin qui lui inflige une épreuve et elle doit faire face avec pour seul bagage la douleur et le chagrin.

    Elle est fort heureusement hébergée chez un ami très ingénieux qui, lors de son emploi comme poubellier à la ville de Paris, pigea vite que les gens jettent tout et n’importe quoi et qu’il y avait de l’argent à se faire. La journée, il allait en cours à la faculté et la nuit, avec Adeline, il faisait la tournée des poubelles de fourreurs dans le quartier du marais. Ils rapportaient des sacs et des cartons de chutes de cuir et de fourrures qu’ils retravaillaient. Ils confectionnaient entre autres, des gilets sans manches. Il n’y avait ni coutures, ni boutons, seulement des rivets et des crochets. Adeline a toujours sa pince à riveter dans sa boîte à outils et je crois bien qu’elle l’emportera dans sa tombe car c’est le seul souvenir qui lui reste de Julien à qui elle doit une fière chandelle. Tous deux fabriquaient aussi des « Boas », écharpes faites de chutes de queues de renard gris ou bleus et les voici, chaque matin, vendant leur collection devant l’université ou dans le métro. Ils font de belles recettes mais cela ne suffit pas pour acheter des croquettes au chat. Et puis, Adeline n’avait pas de couverture sociale et dans son état, il valait mieux cotiser ! Elle cachait du mieux qu’elle pouvait les rondeurs de son ventre grossissant, mettant de longs pull-overs amples et retenant sa respiration lorsqu’elle se présentait en intérim. Malgré son bon niveau littéraire, elle ne put trouver que des missions d’OS2 en usine, l’urgence étant d’avoir un salaire correct. Quand on veut, on peut ! Adeline mit donc son égo de côté et commença comme emballeuse… Ne vous y trompez pas : il s’agissait d’emballer des colis bien qu’avec ses atouts elle aurait pu faire fortune à emballer. Dès lors elle enquille missions sur missions, allant d’un travail très minutieux sur des lentilles de contact jusqu’à enrouler des fils de cuivre sur une embobineuse ! Oui oui, embobineuse… Ce n’est pas du bobard. Puis vint le travail à la pièce : Adeline était la seule française dans cet atelier où le jeu consistait à percer de minuscules tubes de porcelaine afin d’y passer du fil électrique. Les perceuses étaient à pédale et il y avait un compteur. Il fallait faire son quota sinon ça bardait ! Il n’y avait que des yougoslaves pour cette tâche ardue mais Adeline s’y plaisait bien, le contact était sympathique et la petite française leur mettait du baume au cœur. D’ailleurs qui n’apprécie pas Adeline ? Elle s’adapte à toutes les situations. Le midi, ils avaient droit à la cantine. Tout ce petit monde papotait, c’était très animé surtout lorsque Adeline tentait de baragouiner par gestes car aucun ne parlait français et Adeline, bien qu’ayant étudié trois langues vivantes, ne comprenait que chique au yougoslave. Cette mission dura quelques mois puis Adeline découvrit les joies du travail à la chaine, tout d’abord dans une grande marque de parfums à Pantin. Adeline n’a pas fait le pantin à Pantin. Elle travaillait avec sérieux. Ayant désormais accouché prématurément d’un joli petit garçon qu’elle nomma Cédric, elle trouva une nourrice non loin de chez elle. Tout allait bien sauf que les parfums… ça tourne la tête ! Les flacons défilaient sur un tapis roulant et il fallait avoir de bons réflexes pour mettre les bouchons sur les bouteilles ! Ce boulot était très déprimant. La même et sempiternelle chose à longueur de journée. Le quartier, par bonheur, était assez sympathique avec son canal. Le parfumeur voulu l’embaucher mais ce travail à la chaîne ne lui plaisait pas du tout et elle commença à chercher un autre job. Elle avait ouï dire que la grande distribution de la porte de la villette (c’est là qu’on tranche le lard…), à deux pas de là, embauchait. Elle n’a pas envoyé de CV, elle s’est présentée directement au service du personnel, un soir. Le lendemain matin, elle commençait en tant que responsable du rayon jouets. C’était déjà plus plaisant ! Cependant, elle avait tout à apprendre, non pas pour le côté visible du rayon, car faire une jolie présentation, organiser pour attirer le client… Elle faisait cela “ les doigts dans l’nez ”. Ce qui lui posait problème c’était la partie “ réserve ”. Elle devait gérer le stock, passer les commandes, ranger la réserve et là : pas douée la nana ! Elle ne connaissait rien en gestion et on ne lui avait rien appris, ni montré ! C’était système D. Son rayon avait beaucoup de succès et de ce fait, on lui pardonnait son manque de maturité dans le domaine. Face au rayon jouets, il y avait une grande glace dans laquelle elle apercevait le stand de la boulangerie. Au fil du temps, elle commençait à remarquer qu’une toque blanche la regardait avec insistance. Comme elle est un peu myope, elle ne distinguait qu’une silhouette qui ne lui déplaisait pas. Pour tenter de mieux discerner ce qui se cachait sous la toque blanche, elle s’approchait du miroir et plissait les yeux… Ce qui fut interprété comme une réponse favorable aux avances ! C’est dangereux d’être miro ! Son fils avait maintenant six mois et elle avait une vie stable. Tout roulait comme sur des roulettes, ce qui dans sa vie, n’était pas compatible ! Ne voilà pas qu’on la change de poste car il fallait remplacer quelqu’un à la boucherie. Jamais, au grand jamais, elle ne prendra plus un poste en boucherie ! On y travaille dans le froid et pour elle, qui ne supporte pas la vue du sang, elle devait mettre en barquette des containers entiers de tranches de foie baignant dans une mare d’hémoglobine plus rouge que rouge ! Décidemment, sur ma foi, le foie et pour cette fois la mettait en effroi. Le seul côté plaisant de ce sale boulot ingrat, voire ingrat double pour l’occasion, était que pour filmer les barquettes, ils utilisaient un appareil chauffant sur lequel elle se faisait cuire des petits bouts de côtes de porc. Là : elle se régalait.

     

    Lire la suite : Les petits boulots d'Adeline Les petits boulots d'Adeline

     


    1 commentaire
  • sylvie.jpegAdeline a dû se résigner à cesser son activité de marchand ambulant afin de ne pas perdre la garde de ses enfants. Elle s’est « rangée », selon l’expression courante et travaille maintenant en tant qu’intérimaire dans l’aéronautique. Ce sont les grandes vacances et les petits sont chez Léa en bord de mer. Puisqu’elle est seule pendant cette période, elle décide d’aller vider son stock restant au porte à porte, dans les alentours. Elle fait une excellente recette dans les quartiers pas très bien famés de Gennevilliers et de Saint Denis, en plein « neuf trois », comme on dit. La dernière vente s’est effectuée au dixième étage d’une cité de Saint Denis. Une jeune femme élégante ouvrit sa porte. Adeline eut quelques frayeurs dans l’ascenseur et cela devait se voir car la Miss l’invita à boire un verre chez elle. Pendant qu’elle se remettait de ses émotions, Madame S… regardait le présentoir garni de bijoux et semblait très intéressée. Elle prit pratiquement tout ce qu’il restait et demanda de revenir la semaine suivante pour solder l’affaire car elle en parlerait à ses copines. Adeline était assez satisfaite, non seulement d’avoir bien vendu mais également d’avoir passé un moment agréable à échanger ses points de vue sur la société, à refaire le monde. A priori, le courant passait bien avec S… Elles s’entendaient à la perfection et étaient quasiment du même âge. Dans le feu de l’action, Adeline applaudissait cette journée peu ordinaire puis au fil des heures, le doute prenait le dessus. « Est ce bien utile de revenir dans huit jours ? Comme la plupart des gens, elle ne tiendra pas sa parole, j’en suis certaine ! » Une semaine s’écoule et notre chère commerçante se décide à tenter le coup, puisqu’elle avait acquis, comme à la loterie, le droit de rejouer. D’un pas hésitant, elle entre dans ce fameux ascenseur qui lui sort par les yeux en vertu de sa vétusté et du manque d’entretien évident, de plus couronné de graffitis dont les textes devraient être interdits aux moins de douze ans ! Mais elle ne se sent pas de grimper les dix étages par l’escalier de secours. Toujours très charmante, la jeune femme l’accueille autour d’un verre. Chose promise, chose due : ses amies sont là, le chéquier à la main. Elles insistent pour qu’Adeline reste dîner le soir. C’est avec plaisir qu’elle accepte et c’est ainsi que débute une longue et éprouvante amitié entre S… et Adeline.
     S.... était du signe de la balance pour nous occidentaux et du signe du singe pour les chinois. Elle se plaisait à dire qu'elle était maligne comme un singe. Oui ! Elle était futée et habile mais tellement mal dans sa vie ! Née de père alcoolique et d'une mère avec laquelle elle n'avait que des heurs malgré tout l'amour qui les attachait, S... ne trouvait pas son équilibre. Comme tous les enfants de parents divorcés, elle reproduisit le même schéma. S... était violente et souvent sans raison valable. Elle planta un jour son ex mari, d'un coup de couteau dans le ventre parce qu'il n'avait pas payé la pension alimentaire pour les deux petites. Je l'ai vue aussi taillader le bras d'un de ses nombreux amants à coups de machette, uniquement pour lui montrer son autorité. Je dirais S... comme Sordide !
    Elle avait cependant le cœur sur la main. Je dirais S......comme hyper Sensible.
    Vous la découvrirez peu à peu au fil de ce texte. Je vous laisserai alors toutes les éventualités de rapprocher le S.... à sa juste valeur. Elle fait du bien comme elle fait du tort et Adeline a  dû s'en écarter pour se préserver sauf que s'éloigner de S... est une partie de jeu difficile. S.... est un boomerang : vous la mettez à la porte, elle revient par la fenêtre ! Je dirais S.... comme Sangsue car elle se régale de tout vous pomper et ne lâche jamais prise.
    L'année scolaire tirait à sa fin et Adeline était bien embêtée car elle commençait à avoir de sérieuses difficultés financières, sa paie étant insuffisante. Elle accumulait les factures en retard et devait absolument trouver une solution. Elle en appela à nouveau aux Ailes brisées, association pour les veuves et orphelins d’aviateurs, qui acceptèrent immédiatement de lui faire un don pour débloquer cette situation. Merci, Oh grand merci aux associations qui sont bien plus compréhensives que les assistantes sociales ! La chance semblait commencer à sourire car son entreprise décida enfin de l’embaucher en contrat indéterminé. Cela lui permettait de bénéficier du 1% patronal et d’accéder à un logement correct. Elle fut très vite logée à Colombes, près du parc de l’île marante et, bizarrement, juste à cinquante mètres de l’hôpital Louis Mourier où elle avait accouché de son fils, neuf ans auparavant. De sa fenêtre, elle pouvait apercevoir la maternité. C’était un grand F4, au quatrième étage d’un immeuble tout en long. Depuis le large balcon, elle avait vue sur la seine. L’appartement était spacieux et Adeline eut très vite envie de le rendre joli. Elle attaqua les papiers peints, la moquette, elle refit tout avec l’aide de S… Ce logement tombait à pic car sa petite sœur  l’appela pour lui signaler qu’elle était dans un foyer à Senlis, dans l’Oise. Elle voulait divorcer de son meunier et était venue se refugier en région parisienne. Adeline aussi était en pleins déboires judiciaires, vu que son ex réclamait la garde de la petite.
    La copine S… comme Sauveur, connaissait un super avocat dans les quartiers chics de Paris, près de l’arc de triomphe. C’était un avocat qui avait défendu de grands bandits et gagné les procès haut la main qui, je pense, avait été largement graissée. Mais qu’importe, pour de petites affaires comme celle-ci, il ne réclamait pas grand-chose. C’était juste pour rendre service. S… et Adeline arrivèrent dans ce cabinet luxueux. Elles étaient tellement enfoncées dans les fauteuils Louis XVI de la salle d’attente qu’il y avait de quoi piquer un bon roupillon ! Maître CS les reçut. L’affaire n’a pas traîné. L’ex d’Adeline, n’ayant rien à lui reprocher, jouait sur le fait qu’elle manquait d’argent pour élever correctement ses enfants, ce qui était stupide car ils avaient tout ce qu’il fallait mais Môsieur devait bien trouver quelque chose pour alimenter sa requête. Il n’a fallu que deux mois pour que le jugement soit rendu en la faveur d’Adeline et, je vous le donne en mille : l’ex a fait appel !
    Malgré les aides, Adeline ne s’en sortait pas et la société propriétaire lui signifia un avis d’expulsion. Elle fit part de tous ses désarrois à sa super copine S…  qui, ne perdant pas le nord, lui proposa de venir vivre en colocation chez elle. Evidemment ! La paie d’Adeline était la bienvenue pour l’aider à financer ses sorties nocturnes. Adeline n’avait pas vu le piège tout de suite et fut assez touchée par cette solution, qui, bien que ne correspondant pas du tout à sa conception de la liberté, l’arrangeait bien. Les aides sociales lui ayant dit clairement « Ne vous plaignez pas, vous avez un travail » et puis « Il y a plus urgent que vous, vos voisins vivent à quinze dans un trois pièces » et j’en passe et des meilleures, elle décida de quitter les lieux sans rien dire à personne, les laissant le bec dans l’eau. Elle abandonna donc son appartement de Colombes avant que la police ne débarque. Elle leur avait laissé les clefs sur la porte, imaginant avec un certain sarcasme leur stupeur de trouver l’endroit vidé des meubles. Ça s’appelle faire la niaque aux poulets. Elle afficha un joli rictus en coin, un sourire de satisfaction en quelque sorte.
    Embarquement chez S…  : Saint Denis à nouveau, dixième étage…….vue sur HLM !  Brune, élégante et vorace, S…. cachait un état dépressif prononcé mais était trop fière pour le montrer. Adeline ne s’en aperçut pas immédiatement. C’est au fil du temps qu’elle remarqua combien sa présence lui était indispensable. Il faut vivre avec les gens pour les connaître et encore… on en apprend tous les jours ! Lorsqu’elles se sont rencontrées, S… était raisonnable et ne buvait que du porto car, ayant été mariée avec un portugais, elle ne connaissait que ce breuvage. Elle élevait désormais ses deux filles toute seule et se mit à faire bêtises sur bêtises. Elle prit goût aux alcools forts lorsqu’un beau matin d’hiver, alors qu’elle devait accompagner Adeline à son travail car sa voiture était en panne - dans sa plus que vieille Peugeot - elles eurent à braver un froid comme rarement nous en connaissions dans la région parisienne. La Peugeot n’avait pas de chauffage et était abonnée aux courants d’air. La glace se figeait sur le pare brise, à mesure qu’elles avançaient. S…. était à la limite de la crise de nerfs. La meilleure solution qui leur vint à l’esprit fut de faire comme dans les films de cow-boys : un flash de whisky fera l’affaire ! Elles s’arrêtèrent chez l’épicier du coin et en avant pour l’aventure. S… s’est vite réchauffé les artères. Au retour d’Adeline le soir, elle avait acheté ce médicament miracle et tout comme avec les antidépresseurs qu’elle prenait quotidiennement, elle s’accoutuma. Un verre, ça va… deux verres, ça va… trois verres, S… ne comptait plus ! Quand on aime, on ne compte pas. Elle tenait bien la route ! Mieux que sa Peugeot. Forcément, comme nos deux fanfaronnes vivaient sous le même toit, elles se serraient les coudes. C’était la fête tous les soirs au dixième étage.....

     

    Lire le texte en entier : Adeline et sa copine S Adeline et sa copine S


    1 commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique