• Adeline et sa cour

    Adeline et sa courForcément ! Elle était beaucoup trop jeune lorsqu’elle perdit son père et cela n’est pas sans conséquences sur sa vie amoureuse : manque affectif, proie idéale souvent piégée.

    Il est son premier mec. Adeline a dix ans et entre en classe de sixième  au lycée Marcellin Berthelot à St Maur des Fossés dans le Val de Marne. Il a une belle gueule Jean-Marie ! Elle s'arrange au fil des mois pour avoir le bureau jouxtant le sien. Ils s’entendent bien et deviennent inséparables. Y a pas à tortiller, il y a des affinités mais à cet âge, on pense plus à faire des bêtises qu'à l'amour et ils en font des vertes et des pas mures ! Adeline serait bien incapable de nous dire le contenu des cours, son unique apprentissage était sa relation avec ce mec mignon, brun aux yeux noirs et tout petit. Un soir où elle avait envie de lui parler, elle lui téléphona. Y a pas à tortiller, lui aussi l'aimait bien " Tu tombes à pic, je suis sous la douche ! ". À cet instant, la petite bête montait déjà. Premiers sentiments, prise de conscience, déclic. Elle lui a fait quelques belles frayeurs ! Pour exemple cette fois où, en plein cours et en vives malices, il fit mine de s’agrafer le doigt. Quel humour ! Adeline a haï les agrafeuses pendant des années. Il n’a pas eu le temps d’aller jusqu’au bout de sa plaisanterie, Adeline  gisait déjà là, sur le plancher et on l’emmena – en fauteuil s’il vous plait – jusqu’à l’infirmerie où elle eut beaucoup de mal à revenir à la vie.  Personne ne connaissait son degré de sensibilité et surtout pas ses amants ! Elle a toujours caché ses faiblesses aux hommes qui lui plaisaient. Cette fois, Jean-Marie avait forcé le secret ! Ils n'ont jamais fricoté ensemble, leur amour  restait platonique mais gravé dans leurs mémoires. On n'oublie pas son premier amour. Ils se sont perdus de vue lorsqu’Adeline a changé de lycée pour son entrée en classe de quatrième  au lycée Jean de La Fontaine à Paris 16ème  car sa maman avait la folie des grandeurs et avait trouvé un appartement dans le 17ème, ce qui la fit fréquenter les quartiers chics de Paris... Autre monde ! Autres connaissances. L'appartement était situé avenue de Wagram, au sixième étage, près de la place des Ternes. L'épicerie du coin était simple et livrait les courses à domicile. C'est là qu’Adeline fit la connaissance du commis : un homme d'au moins vingt-cinq ans alors qu’elle n'en n'avait que seize. Il était un vieux à ses yeux et l'effrayait un peu car Mamette, sa grand-mère maternelle, l’avait toujours mise en garde contre les plaisirs du sexe. Mais notre adolescente aimait l'aventure et puis ce qui est interdit est toujours alléchant ! Elle répondit aux avances du commis et il la retrouvait la nuit dans sa chambre. Elle le faisait passer incognito. La première nuit, il ne la toucha pas, ni la nuit suivante. Elle lui demanda pourquoi " Tu es si jeune ! Je ne voudrais pas te faire du mal " " Pas d'accord ! Il faut bien que je commence un jour ". Il ne se fit pas prier et rattrapa son retard. Notre Adeline perdit sa dignité mais n'en fit pas un drame. Cela s'était très bien passé, il n'y eut pas de rapports sexuels, uniquement avec la mimine. Elle était donc encore positivement correcte et avait fait un pas vers sa féminité. Elle abandonna le commis, ayant obtenu ce qu’elle voulait car en fin de compte, il ne lui plaisait pas outre mesure. En bref, elle l'a jeté après usage, elle avait découvert le mec jetable. Cette mentalité était celle de ses copines de lycée. Et oui ! Elle fréquentait des bourgeoises et ce monde-là, Monsieur, c'est un monde de pourris.

    Depuis toute petite, Adeline passait la plupart de ses vacances à Sahorre, petit village de montagne dans les Pyrénées orientales. C'est là que Mamette avait une maison sur trois étages et qui trônait sur la place ensoleillée. Les séjours y étaient heureux et Adeline avait bien évidemment sa bande de copains… des catalans. Christian avait une belle gueule lui aussi et ils avaient tous les deux seize ans, soit le bon âge pour conter fleurette, ce qu’ils firent. Adeline n'oubliera jamais le soir où pour la première fois, il la déshabilla doucement et resta quelques instants à la regarder comme si elle était un don du ciel. Elle lui céda corps et âme. Ils s’étaient cachés dans une petite pièce au fond de la salle des fêtes. Leur histoire tourna au sérieux et ils s’aimèrent plusieurs étés successifs. Pour se rapprocher d’Adeline qui vivait à Paris, il s'engagea dans l'armée. Il avait ainsi un solde qui lui permettait de venir la voir en train. Il fit le trajet une fois puis deux mais entre-temps, Adeline très complice avec sa petite sœur, faisait les quatre-cent coups. C’était l’époque hippie. Elles portaient des vêtements verts mêlés de violet et des turbans. Pour les pompes, c’était des Clark beiges à lacets. L’époque hippie les berçait forcément de musiques, la musique les entourait de copains. Ghislaine fit la connaissance d’une famille de vietnamiens : deux beaux gars et une petite sœur d’un visage si pur qu’on lui aurait donné la mer, le ciel et les étoiles. Min Thi était le plus grand, Min Tam la petite sœur et Min Sou était le copain de la sœur d’Adeline. Il jouait de la basse avec pédale wahwah qu’elles étaient allées acheter en Allemagne car c’était le début de ces engins et cela revenait beaucoup moins cher à l’étranger. Donc, elles s’étaient fait offrir ce petit voyage par leur mère, comme çà ! Juste pour rapporter du son. Min Thi jouait de la guitare électrique. Les deux frangins à eux seuls formaient un orchestre dans la chambre de Ghislaine et croyez-moi, ça l’faisait ! Adeline était alors avec son militaire mais voilà ! Comment ne pas craquer devant Min Thi et ces inoubliables soirées ? Elle ne trouva pas la solution et opta pour l’exotisme. Le Vietnam s’est bien payé sa tête, elle est vite redescendue sur terre mais trop tard, elle venait de rejeter la demande en mariage de son militaire, n’étant plus trop amoureuse de lui. Ce fût un drame pour Christian. Adeline se fit sermonner par sa maman qui la trouvait trop dure de le faire autant souffrir. Il était éperdument amoureux d’elle. Il revint encore une fois sans prévenir et dans l'intention de lui casser la figure. Il la suivit au parc Montsouris et finit par l'aborder. Il lui avoua plus tard que lorsqu'il l'avait vue dans cette jolie robe courte bleu marines à fleurs, il n'eut pas le courage de lui faire du mal. Cette robe était un cadeau de sa tante Jeanine lors d’un séjour à Nice. Elle lui allait comme un gant et elle la portait fièrement. Ainsi donc le cœur a des raisons que la raison ignore, selon le vieil adage. Adeline n’a jamais oublié son militaire et a bien souvent regretté cette erreur de jeunesse. Sa vie en aurait été tout autre et assurément bonifiée.

    Elle fréquentait maintenant le lycée Vavin qui se dressait là, tout en brique, ressemblant à une prison. Les barreaux aux fenêtres la laissaient de glace… Bof ! C’était bien parce qu’il fallait y aller ! Elle entrait en classe de seconde A5, soit trois langues vivantes + latin. Elle se refit des copains/copines et hop ! C’était reparti pour un tour de bonnes rigolades. Sa meilleure amie était corse, rousse aux yeux verts. C’était l’adolescence avec tout ce que cela comporte de sorties et crises de rires autant que prises de tête. On ne sait pas ce que l’on veut, à cet âge-là, on se cherche. Elles passaient des heures à jouer au billard dans un café sur le boulevard Montparnasse. Adeline n’avait plus de petit ami, seulement des copains. Un d’entre eux était amoureux d’elle et lui offrit un jour une superbe montre en argent qu’elle se fit faucher lors de sa fugue en Angleterre. Elle ne fréquentait plus la porte d’Auteuil mais la porte d’Orléans et la porte d’Orléans… C’est direction le sud ! Son esprit aventurier se réveilla et lui couta cher, très cher et à plusieurs reprises, car n’étant pas têtue, bornée, elle persista dans l’erreur ! 

    C’était la mode du mini. Mini jupes et m’as-tu vue, mini vélo. Adeline avait pour idole Françoise Hardy. Elle était grande et fine et les mini jupes la rendaient adorable. Qui dit idole, dit imitation. Sa maman lui avait acheté un mini vélo et elle était fière d’être à la page. Fière et innocente, fière et naïve ! Une nuit, n’arrivant pas à dormir, elle sortit son mini vélo et partit user ses jarrets dans l’enceinte de la cité universitaire, à deux pas de chez elle, porte Gentilly. Il était environ deux heures et la nuit était noire. Il faut que je vous mette dans le contexte : cité U pleine d’étrangers, parc Montsouris désertique, entrée d’autoroute au pied de la porte Gentilly. Adeline s’amusait avec son mini vélo dans les allées bien tracées et bien vertes. Elle prenait vraiment du plaisir dans sa balade solitaire mais voilà ! On n’est jamais seul ! Il y a toujours quelqu’un sur votre route. Elle croisa alors une bande d’étudiants libanais qui la stoppèrent et entamèrent la conversation. Malgré son jeune âge, elle était déjà trop bien « en formes ». Ces jeunes gens / jeunes filles l’invitèrent à boire un verre dans leur chambre. Elle trouva l’idée sympathique et les suivit, abandonnant son vélo pour quelques instants. Arrivée devant le verre de l’amitié, elle s’aperçut vite de son erreur. Ils commencèrent à se rouler des joints. Elle ne connaissait pas cela et ne voulait surtout pas connaître ! Elle ne voulait pas perdre sa raison car elle savait trop comment cela pouvait se terminer ! Elle avala donc son jus d’orange et prit congé. Elle sentait bien que son départ déplaisait et pressa le pas.  Ouf ! Elle enfourcha son mini et se sauva en pédalant à qui mieux mieux. Elle n’avait que quelques mètres à faire pour retrouver sa maison. A aucun moment, elle n’avait imaginé que ces jeunes possédaient des voitures ! Voilà pas qu’ils la rattrapèrent en faisant crisser les pneus, la faisant tomber et sans qu’elle n‘ait pu ne serait-ce que reprendre son souffle, ils l’avaient hissée dans leur vieux cabriolet et s’enquillèrent sur l’autoroute du sud. Ils lui tenaient les mains et avaient verrouillé les portes. Puis ils commencèrent à lui sauter dessus (ils étaient trois à l’arrière et deux devant). Adeline se débattait, complètement apeurée. Ils sortirent des poignards qu’ils lui collèrent sous la gorge, lui conseillant de ne pas résister. Outre l’angoisse de se faire zigouiller, elle craignait de se retrouver dans la traite des blanches à Tanger, car à cette époque, il y avait beaucoup de trafics de ce genre et d’ailleurs le magasin Tati à Barbès était impliqué dans une affaire morbide de filles qui disparaissaient alors qu’elles étaient dans les cabines d’essayage. Et puis, elle pensait à sa mère ! Quelle honte si elle apprenait cela ! Les lames des poignards piquaient sa gorge. Elle ne bougea plus et tous se soulagèrent. Heureusement qu’à cette époque, les fermetures de portes étaient mécaniques ! Ces horreurs de mecs ayant vidé leurs balloches, s’écartèrent un peu et elle réussit à ouvrir une portière puis se laissa tomber sur le macadam. Par miracle, elle ne fut pas blessée dans sa chute. Ils ne parvinrent pas à la rattraper puisque l’autoroute est à sens unique. Elle rentra à pieds. Le lendemain, il fallait qu’elle récupère son vélo pour que sa maman et ses sœurs ne se posent pas de questions. Seulement voilà ! Elle fut dans l’incapacité de se lever. Elle avait terriblement mal à l’anus et sa maman fit venir le docteur. Elle fut bien obligée de raconter son histoire. On lui fit passer des examens à l’hôpital. Dans la série « je n’ai pas de chance », elle a été bien servie ! On la mit nue et à quatre pattes sur une table avec une quinzaine d’étudiants en médecine autour et on lui enfonça  une sonde. Elle hurlait tant de douleur et de honte que sa mère sortit en furie de la salle d’attente. Bilan : fistule à l’anus. Adeline dérouilla physiquement pendant de longs mois. Moralement, elle fut marquée à vie.

    Les copains/copines de lycée habitaient tous du côté de Bagneux, Montrouge, etc… Adeline garde un goût amer de cette petite période où elle allait retrouver régulièrement ses soi-disant potes à Bagneux. Elle y a découvert ce qu’on appelait des « cages à lapins ». De grands immeubles où étaient parqués les pauvres et les immigrés. C’était le début de ces constructions qu’on nomme aujourd’hui « cités ». Cela lui déplaisait fortement. Ces potes, dont elle a complètement zappé les prénoms, s’y plaisaient ou tout du moins faisaient mine d’y être à l’aise. Pour combler les insatisfactions, ils frimaient, se vantaient de connaître le célèbre humoriste Thierry le Luron, qui était en pleine gloire et qui, d’après eux, était originaire de Bagneux. Adeline n’a jamais vérifié, cela ne l’intéressait pas. Et pour couronner le tout, ils se droguaient ! Pas des drogues douces auxquelles ils l’ont quand même initiée, mais du fort, du costaud, du hard… Celles qui vous détruisent bien. Ils passaient des heures stupidement comblées à ne rien faire d’autre que fuir ce bas monde. Ils ont commencé à faire fumer des joints à Adeline. Elle ne ressentait aucun effet, du moins c’est ce qu’elle croyait car elle s’aperçut plus tard du comportement zarbi que cela entraine. Elle ne pensait pas que fumer soit dangereux mais de toute façon, elle n’aimait pas ça. C’était juste pour faire comme eux. Elle arrêta vite fait bien fait ce petit jeu. Lorsqu’elle passa son permis de conduire trois ans plus tard, elle avait encore des trucs pas normaux du style : je vais pour passer ma vitesse et oh rage, oh désespoir… Le levier a disparu ! Je vous garantis que cela fait paniquer. Lorsqu’on dit que les drogues douces ne sont pas néfastes : c’est faux ! Il est dangereux de conduire sous leur emprise. La bande de Bagneux était assez en pétard (c’est le cas de le dire !) parce qu’Adeline ne jouait plus leur jeu mais ils feignaient la sympathie quand même. Un soir alors qu’ils s’adonnaient aux délires des drogues dures, ils ont incidemment mis un « cristal » dans sa boisson. Les tableaux ont commencé à bouger. Les personnages des tableaux se jetaient sur elle tels des démons. Elle était terrorisée. Elle se sentait mal et se souvient s’être blottie assise en boule dans le coin de la pièce. Elle était au bord du malaise tandis qu’un grand sec chevelu criait sur le balcon qu’il voulait voler. Il s’était mis nu et tous les autres se sont aussi mis en tenue d’Adam et Eve. Adeline a bien cru qu’ils allaient sauter par-dessus la rambarde du neuvième étage. Au bout de plusieurs heures, elle abordait ce qu’ils appelaient la descente, autrement dit elle reprenait ses esprits. Elle se sauva à pieds et rentra chez elle dans un état lamentable et non sans peine. Jamais au grand jamais, elle ne les a plus côtoyés. Elle fut écœurée de la drogue pour la vie.

    Il était beau : les cheveux longs et bouclés, un nez parfait et d’une grande gentillesse. Lui et Adeline, c’était une grande histoire : du sérieux à nouveau. Il lui avait été présenté par une amie, c’était le pote de son mec. Il avait réussi à obtenir la sympathie de la maman d’Adeline. Il s’était préparé un book dans l’espoir de trouver  un travail de figurant. Comment oublier sa série de photographies ? C’était vraiment un bel homme. Il présenta Adeline à ses parents et cependant le souvenir qu’elle en a n’est pas des plus agréables. Sa mère la recevait avec beaucoup d’égards et semblait l’apprécier. Elle avait mis les petits plats dans les grands. Malheureusement, Adeline fut prise d’une crise de cystite qui l’obligea à  écourter la soirée. Elle s’en veut encore énormément. Quelques temps après, ils entreprirent un voyage en amoureux en auto-stop direction le sud. Merveilleux voyage plein d’images splendides ! Ils dormaient dans les auberges de jeunesse, avec un désir ardent de prendre le petit déjeuner le lendemain matin car les dortoirs n’étaient pas mixtes à l’époque. Les plus belles régions de France ne leur ont pas échappé. Des gorges du Verdon aux baies de la Méditerranée, les couleurs ocre mélangées de pins verts embaumaient tous leurs sens tournés vers la même direction : le bonheur. De retour à Paris, Yvon ne voyait pratiquement plus son copain : il préférait la compagnie d’Adeline mais François vit cela d’un très mauvais œil et fit le maximum pour les séparer. Après de longs mois de charcutage, il eut gain de cause et Yvon disparut à jamais de la vie d’Adeline qui désormais hait les copains des copains.

     Lors de ses balades à Paris, elle avait découvert avec bonheur le quartier latin, le pont de l’île de la cité et Saint Germain des prés. Déçue par ses expériences de Bagneux, elle se rendait de plus en plus souvent boulevard St Michel. Elle aimait beaucoup se promener dans cette ambiance jeune et chaleureuse, encore inondée de baba cool, guitares et cheveux longs. Elle y fit des rencontres pour le moins insolites et petit à petit, elle abandonna le lycée pour l’aventure… Encore et toujours !

    C’était maintenant les grandes vacances, d’autant plus grandes puisqu’Adeline avait refusé l’épreuve du bac. Elle n’avait plus aucune contrainte si ce n’était celle de choisir ce qu’elle aimerait faire dans la vie. Elle n’en n’avait aucune idée. Tout ce qui lui importait à ce moment, c’était de rejoindre ses potes du quartier latin. Elle n’y passait plus des journées entières, elle y avait élu domicile. On ne parlait pas de SDF en cette année 1971. Il n’y avait que des clochards, des riches ou des français moyens. Elle avait donc décidé de vivre avec l’air du temps, près des guitaristes chevelus. Il y avait toujours un copain pour la loger. Personne n’était vraiment à la rue sauf les clochards qui eux, avaient fait ce choix. Ce n’était pas la peine de leur proposer un toit, ils n’en voulaient pas. Ils étaient heureux avec leur coup de rouge, bercés la nuit par les flots de la seine se brisant sous les ponts. Parmi les chevelus imprégnés de musique, elle fit la connaissance d’un anglais, blond aux yeux bleus et qui chantait du Bob Dylan puis elle rencontra Bernard, un Lillois qui traînait sur le pas de porte du Bistrot 27.  Le copain de Bernard se faisait appeler Jésus… Cheveux longs très crades et jeans. Pas très catholique le Jésus ! Mais Adeline était intriguée et commençait à s’intéresser à ces deux phénomènes.  Elle ne se rendait même pas compte qu’à ne plus rentrer à la maison depuis si longtemps et n’ayant prévenu personne, elle était en fugue ! Elle n’y pensait pas le moins du monde, elle s’amusait, c’est tout. Son esprit fugace prenait le dessus. Elle vivait l’instant présent, comme elle le sentait, sans aucune mauvaise pensée. Il faut dire que sa maman voyageait beaucoup pour son travail, que sa sœur aînée était invivable et que sa petite sœur la comprenait. Elle n’avait logiquement aucune raison de penser qu’on se faisait du souci pour elle. Elle était donc en fugue ! C’est Bernard qui lui en fit prendre conscience lors d’une discussion sur le pas de porte du Bistrot 27. Ils parlaient beaucoup de tout et de rien. Ils s’entendaient à merveille. Son pote Jésus était beaucoup plus terre à terre – Oh mon Dieu ! - et vidait des verres au comptoir. Adeline n’a jamais su ce qu’ils faisaient là tous les deux, des heures entières. Elle ne posait pas de questions. Un jour, elle comprit qu’ils étaient mal barrés quand ils lui proposèrent de gagner plus d’argent qu’à faire la manche, en devenant michetonneuse. Michetonneuse : c’est occuper les clients pour qu’ils restent longtemps à consommer mais surtout ne rien donner d’autre que des sourires. C’est se faire payer le champagne, c’est faire faire du profit au patron de bar. Adeline a, bien évidemment refusé cette offre. Elle ne manquait pas d’argent et ne traînait pas la rue par nécessité, mais par expérience. Elle avait un toit. Bernard comprit vite la confusion et s’excusa. Jésus, sans aucune éducation, continuait dans ses délires sans jamais rien piger. Adeline ne leur en voulait pas. Elle a toujours été tolérante et sans rancune. Elle devint amie avec Bernard qui passait maintenant une bonne partie de ses journées avec elle. Un soir pas comme les autres, Adeline se mit en tête de poursuivre l’aventure en allant passer quelques jours au bord de la mer. Bernard ne voulait pas suivre mais Jésus décida de l’accompagner. Les voici donc à l’entrée du périphérique, faisant de l’auto stop, direction la manche. Ben oui ! Comme mer, ils ne pouvaient choisir que la manche puisque ce mot leur collait à la peau. Les gens n’ont pas eu peur de Jésus et pourtant il y avait de quoi ! Ils ont très vite pris place dans une voiture qui se dirigeait sur Rouen. Ah ! Qui aurait dit à Adeline qu’un jour Jésus guiderait ses pas ! Jésus cachait des poux sous sa chevelure et des morpions juste un peu au-dessous ! Il avait tout de ce qu’Adeline détestait et ce petit voyage ne faisait que confirmer ce qu’elle pensait. Il devenait de plus en plus macho, aussi lorsqu’ils arrivèrent à Rouen, elle avait déjà en tête de poursuivre seule sa route. Au bout d’une semaine, elle lui dit qu’elle se dirigeait vers le nord, sans lui. Il est donc parti on ne sait où et Adeline s’en fichait pas mal. Elle se remémora cette journée merveilleuse qu’elle avait passée avec sa petite sœur Ghislaine à Brighton. Cela fit tilt dans sa tête et elle visa l’Angleterre. Elle n’avait que deux/trois ronds en poche. Elle prit le bateau. Arrivée sur le sol british, elle pensa que visiter Londres ne serait pas du superflu. Alors, rebelote : le pouce en l’air ! Arrivée à Londres, il fallait bien manger et dormir. Elle tenta la manche outre-manche. La nuit tombant, elle se mit en recherche d’un abri et finit, après des heures de marche à travers des ruelles sombres et pas trop rassurantes, par trouver un squat occupé par une poignée de chevelus qui jouaient de la guitare. La nuit porte conseil, c’est bien connu. Au réveil, elle décida de trouver un job. A cette époque, c’était assez facile. Elle arpenta donc les boulevards londoniens, de Victoria station vers Piccadilly sans oublier Hyde parc. Elle recherchait une boîte d’intérim. Au cours de cette balade, elle reconnut le quartier où elle avait passé une semaine quelques années plus tôt, dans le cadre des échanges scolaires. Elle était tombée dans une famille très stricte et pleine de traditions. Elle s’y était fortement ennuyée. C’était un quartier résidentiel où les petites maisons étaient toutes pareilles mais heureusement très jolies. Simplement, il fallait rentrer les idées claires pour ne pas de tromper de maison ! Elle ne trouva pas son bonheur en intérim mais dans une association qui affichait boutique sur rue. Ils lui proposèrent un logement et le couvert du midi en échange de travaux de restauration dans une auberge de jeunesse. C’était parfait. Elle arriva dans cette grande masure de trois étages. Il y avait tout à refaire ! Ils étaient une équipe d’environ vingt jeunes, tous aussi paumés les uns que les autres. Ils refirent le plancher principalement, sur les trois étages. Il y avait une bonne ambiance. Adeline se fit un copain anglais – encore un blond et pourtant elle n’aimait que les bruns en général ! – C’est par lui qu’elle apprit qu’en Angleterre, on peut se faire soigner gratuitement, même si on est étranger. Au moins, tout le monde a le droit à la santé là-bas ! Elle se sentait mieux dans sa peau, entourée de ces amis et travaillant. Elle écrit une longue lettre à sa mère pour sa fête, le 3 janvier. Elle voulait lui faire plaisir et s’excuser de tout le mal qu’elle lui avait fait. Elle eut un autre copain plus tard : un irlandais cette fois ci. Ils passèrent une nuit ensemble et le lendemain matin, il lui avait fauché sa belle montre en argent. Elle en parla aux autres membres de l’association mais personne ne voulut bouger le petit doigt. Un ami écossais, souhaitant lui remonter le moral, l’emmena quelques jours en Ecosse mais, bien que ce petit séjour fut très agréable, Adeline ne pensait qu’à cette trahison. Elle y tenait à sa montre ! Elle  décida de retourner à Londres et de porter plainte. Commissariat comme dans les films ! Attente sur une chaise dans un long couloir morose où un inspecteur faisait les cents pas. Bureau du commissaire fumant sa pipe et chapeauté melon. Elle posa plainte et subit un interrogatoire digne de la PJ. Coups de téléphone, attente. Elle ne comprenait pas très bien pourquoi on la faisait patienter si longtemps. Soudain elle pigea qu’ils avaient fait leur enquête – non sur la montre – mais sur elle et qu’au bout du fil c’était sa mère. Deux aimables policiers la conduisirent au bateau et hop ! Retour à la case départ mais sans toucher les vingt mille francs. Elle avait été renvoyée ad patres. Ce qu’il faut savoir, c’est que lorsqu’on vous renvoie dans votre pays, on vous laisse à la frontière avec dix francs à l’époque, histoire de ne pas être en état de vagabondage. Elle fit donc à nouveau du stop pour rentrer à Paris et retrouva son Bernard bien aimé, encore bercée de l’odeur outre-manche et des airs de Janis Joplin plein la tête. Ils étaient heureux de se revoir et entamèrent une relation, avec affinités cette fois-ci. Ils vivaient d’amour et d’eau fraîche. Adeline n’a jamais cherché à savoir  d’où il venait ni ce qu’il faisait à Paris. Il n’était pas très grand et assez bel homme : cheveux châtains et yeux marron. Il venait souvent la rejoindre chez elle où ils se cachaient. Personne ne le connaissait dans la famille. Une voisine leur prêtait les clefs de son appartement. Elle était brune, fine, avait alors environ la quarantaine et habitait place du marché St Honoré à Paris 1er. C’est chez elle qu’Adeline s’aperçut qu’elle était enceinte alors que sa maman venait d’avoir un accident mortel d’automobile et était soignée à l’hôpital de Lille. C’est comme ça qu’elle sut que les parents de Bernard habitaient cette même ville. Elle était en cours de passer son permis de conduire et n’avait pas un centime d’avance. Elle supplia Bernard de l’accompagner en auto-stop à Lille pour rendre visite à sa maman. Il le fit. Elle lui avait très maladroitement annoncé qu’elle attendait un enfant de lui. A peine arrivés à Lille, ville totalement étrangère pour Adeline, il l’abandonna sur le grand boulevard menant à l’hôpital. Il faisait déjà presque nuit. Elle se retrouvait donc enceinte, seule dans cette ville inconnue, à la nuit et allant voir sa mère mourante.

     

    Lire la suite (reprendre à la page 9) : Télécharger « Adeline et sa cour.pdf »

     

    « « Faire vinaigre »L’herbe royale »

  • Commentaires

    1
    clementine severin
    Mercredi 6 Mai 2015 à 23:17

    c'est ton roman ? Tu veux qu'on te dise ce qu'on en pense ?

    bisous

    clem

    2
    Mercredi 6 Mai 2015 à 23:52

    elle a bien cherché l'aventure aussi

    3
    Jeudi 7 Mai 2015 à 06:44

    Hello Arielle

    Bizz

    Pat

    4
    Jeudi 7 Mai 2015 à 07:14

    Même si j'étais très pressée ce matin, j'ai commencé à lire même si c'était long en me disant que j'arrêterais avant la fin pour le reprendre plus tard et j'ai lu jusqu'au bout..... J'ai vécu mon enfance et mon adolescence près de la porte d'Orléans dans le 14ème chez ma grand mère. Le parc Montsouris je connais bien.

    Terrible scène de viol collectif qui m'a profondément touchée car cela me rappelle hélas aussi un mauvais souvenir personnel.

    Beau Jeudi Arielle.

    5
    Vendredi 8 Mai 2015 à 12:16
    Au fil des lignes, l'amusement s'en va et l'histoire prend des tournures de tragédie. Tu écris si bien que j'ai tout lu d'une traite. Bravo pour ton grand talent.
    6
    Simone L.V.
    Vendredi 8 Mai 2015 à 13:16

    Que d'épopées! et moi qui croyais avoir fait les quatre cent coup dans ma jeunesse, je me sens comme une enfant de Marie à côté d'Adeline!Mais il me semble que tu as déjà publié certains extraits (notamment l'escapade en Angleterre)?sarcastic

    Si tu finalises ce petit chef d’œuvre en un livre tu peux dès à présent m'en réserver un exemplaire: tu sais bien  que j'aime tes écrits ... et, en plus, je tiens à conserver ma prérogative d'être la seule à avoir l'intégrale de tes œuvres! (dentiste/vétérinaire compris).yes

    Belle fin de semaine et bises; Simoneclown

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    7
    Vendredi 8 Mai 2015 à 19:14

    Génial...

    époustouflantes les aventures d'Adeline!

    Tu as un immense talent pour raconter!...

    Bravos...

    *****

    A cause d'Adeline, je n'ai rien préparé pour dîner ce soir!

    smilesmile

    8
    Vanessa
    Vendredi 26 Juin 2015 à 03:28

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