• Adeline a la bougeotte

    Adeline a la bougeottePlus fort que Cadet Roussel ! Adeline a déménagé presqu’aussi souvent qu’elle a changé de voiture ou d’amant. Elle va au gré du vent, suivant aveuglément sa destinée. Ses parents également bougeaient beaucoup.

    Son premier logis, c’est son ami Julien qui l’a déniché, près des studios d’enregistrement des Buttes Chaumont à Paris et plus exactement rue des solitaires dans le 19ème sur les hauts de Belleville : rue prédestinée car solitude déjà bien entamée. Cette petite rue est bien connue de par la chanson d’Eddy Mitchell. Elle est sombre et mène à la place des fêtes : place prédestinée car Adeline vit d’optimisme. Les maisons, hautes de quatre étages maximum, cachent des cours et arrière-cours assez sympathiques. C’est là, au fond d’une cour pavée, qu’un petit studio meublé tendait les bras à Adeline. Elle était enceinte de six mois, abandonnée du père de l’enfant et orpheline de père et de mère. Elle avait pour voisine une dame d’un certain âge qui s’était mis dans la tête d’adopter son enfant à sa naissance ! Elle l’écarta bien vite de sa route. C’est terrible : lorsque vous êtes seule, vous êtes une proie permanente. Adeline aimait beaucoup ce quartier et allait quotidiennement marcher trois, voire quatre ou cinq heures au parc. Ne voilà pas qu’une de ses sœurs vivant au Mexique décida de débarquer pour voir le studio ! Elle venait avec son bébé nouveau-né. Adeline  cachait sa grossesse. Sa sœur resta quelques semaines,  dormit à côté d’elle dans son grand lit et n’y vit que du feu ! Elle était complètement déconnectée de la France. Aussi lorsqu’elles revinrent toutes les deux du marché avec un carton de pommes, elle les mit directement dans l’évier et les nettoya avec du liquide vaisselle… Zarbi vous avez dit ? Elle craignait les maladies. Avant son départ à Mexico lors de ses fiançailles, soit deux ans avant le décès de leur maman, elle avait eu le privilège d’être dotée d’un beau cadeau : une petite voiture car elle travaillait à la gare St Lazare et avait besoin d’être véhiculée. Adeline avait récupéré cette voiture et s’en servait beaucoup. Sa sœur la vendit sans lui en parler et elle se retrouva du jour au lendemain à pieds puis la miss repartit faire sa vie à Mexico. Ah ! Elle s’en souviendra du passage du Mexique rue des solitaires ! Après son départ, une autre de ses sœurs ainées débarqua et mit les pieds dans le plat. Soit, elle l’avait gâtée en lui achetant des vêtements adaptés mais elle lui gâcha sa joie en contactant, à son insu, les parents du père de son enfant à Lille. Adeline ne sut jamais ce qu’elle leur avait bien pu dire, ni comment elle les avait  retrouvés mais le fait est qu’ils crurent qu’elle voulait de l’argent. Elle perdit tout espoir de le revoir un jour et avait honte de ce comportement. Elle coupa le contact avec sa soi-disant protectrice.

    Son second logis fut une bénédiction de l’association des Ailes Brisées. Depuis le décès de son père en 1965, Adeline et ses sœurs avaient été convoquées quelques années de suite pour l’arbre de Noël. Cette association s’occupait des veuves et orphelins d’aviateurs militaires mais la famille d’Adeline était reconnue pour avoir été là dès l’origine de l’aviation en France. Ils étaient civils et son papa était moniteur instructeur. Son parcours en tant que pilote était honorable. Avec son frère, qui fut nommé tuteur d’Adeline et de sa petite sœur lorsque leur maman décéda elle aussi, ils avaient été réquisitionnés pendant la guerre car ils étaient d’excellents pilotes. Les « Ailes Brisées » les avaient donc acceptées dans leur cercle, place St Augustin à Paris. Adeline accoucha prématurément d’un joli petit garçon et l’association prit les choses en main. Le studio de la rue des solitaires étant trop petit et manquant de confort pour y vivre avec un enfant, ils lui dénichèrent un appartement spacieux en banlieue. C’était une surprise, tout s’était fait incognito lorsqu’elle allaitait tous les prématurés du coin, depuis son lit d’Hôpital. Oui, Adeline était une vraie vache à lait et produisait à en revendre, sauf que mal informée, elle rendait ce service gratis. Elle est comme ça Adeline : elle donne, elle donne et ne demande rien en échange. Elle n’avait absolument pas envisagé de quitter son studio, elle y était heureuse mais il fallait bien se rendre à l’évidence. Donc, ils ont bien fait et elle n’eut pas son mot à dire… Heureusement ! Car elle n’est pas toujours facile à vivre… L’association lui donna rendez-vous à Bobigny, dans la Seine St Denis (le neuf trois comme on dit maintenant (93)). Elle se rendit à la gare de Colombes avec son bébé dans son couffin. Cela lui parut être le bout du monde ! Elle ne connaissait absolument pas la banlieue et elle marcha, marcha, se perdit et remarcha encore. C’est lourd un couffin, même si le bébé dedans ne pèse que quelques kilos. A la gare de Bobigny, l’association et la sœur berrichonne d’Adeline qui était de connivence, l’attendaient, impatientes de lui faire la surprise. Elles remontèrent une longue rue, débouchant sur une petite résidence HLM (Habitation à loyer modéré : ce qui était vrai à l’époque. De nos jours, il n’y a plus rien de modéré !). 1er étage droite : on lui remet les clefs. « Voici ta nouvelle maison ». C’était un F3, douillet et clair avec balcon. Depuis la grande baie vitrée, Adeline aperçut des enfants jouer sur la pelouse. Quel beau cadeau on lui avait fait là ! Les Ailes brisées avaient en plus, obtenu les soins gratuits à 100 % et pour elle et pour son bébé, ainsi qu’un an de lait et couches gratuites. Elle n’avait plus qu’à trouver un job et une nourrice. Les Ailes Brisées la suivirent pendant de longues années et étaient toujours là en cas de coup dur. C’était sa seconde famille. L’assistante sociale était âgée et prit sa retraite. Elle décéda malheureusement quelques temps après son départ. C’était un peu mère Theresa ! Les Ailes Brisées proposèrent à Adeline un poste dans l’armée lorsqu’elle fut installée dans son nouveau logement. Adeline prit peur et refusa. Cela a été une de ses plus grosses gaffes ! Elle était profondément antimilitariste alors qu’elle ne connaissait rien de l’armée. Ce qu’on lui proposait était un poste civil dans l’armée. Elle aurait eu un salaire correct et un avenir tout tracé mais il faut croire que tel n’était pas son destin ! Elle préféra galérer encore un peu… Adeline était désormais balbynienne dans le neuf trois. Ne cherchez pas l’erreur ! J’enlève le décodeur : les balbyniens et les balbyniennes sont les habitants de Bobigny dans le 93 (neuf trois). Je vous rassure, il n’y a rien de contagieux ! Elle avait beau regarder autour d’elle, elle ne voyait plus ces vieilles pierres qui font le charme de Paris. La banlieue de ce côté-ci n’est faite que de béton. Seule subsiste la vieille église avec son clocher. Elle est perdue, je dirais même cernée par des tours froides de chez froides. Elle semble irréelle ! Le clocher atteint le cinquième étage du bloc d’en face. J’imagine la joie des locataires lorsque les cloches sonnent. Pour se rendre au centre-ville, elle devait descendre la longue petite rue. Tout en bas se trouvait un arrêt de bus. Combien de fois a-t-elle remonté cette rue, son bébé dans un bras, ses courses dans l’autre, le souffle haletant et bravant tous les temps. A part le béton, il y avait aussi l’immense centre commercial avec son parking souterrain. C’était la seule attraction du coin.  Lors de la venue du père Noël pour animer un peu ce paysage futuriste et alors que son fils commençait à peine à marcher, elle se  rendit à la banque face au supermarché. Trop chargée, son fils restait à ses côtés dans ce lieu sécurisé et jouait avec des prospectus. Elle remplit ses papiers et décida d’emmener le petit voir le père Noël à une centaine de mètres, au centre du centre. A sa grande surprise, il avait disparu ! Il n’était plus dans la banque ! Horreur et désespoir… Elle demanda tous alentours et tous azimuts si quelqu’un l’avait aperçu. Rien… Panique à bord. Elle fit faire une annonce micro. Rien. Personne ne se manifestait. Elle arpenta les multiples allées bien décorées en se fichant bien de tout ce cinéma clinquant et quelle ne fût pas sa surprise de trouver son petit bonhomme dans les bras du père Noël ! La banque, ça l’ennuyait, alors il était allé voir le père Noël de son propre chef… Comme un chef, du haut de ses trois pommes. Et le père Noël n’avait pas entendu l’annonce : ben oui ! À cet âge, on est un peu sourdingue ! Ca : c’était pour la petite anecdote. Elle était bien dans son F3 hormis ses voisins très snobs, voire parvenus et qui la zieutaient derrière le carreau car je le rappelle : à cette époque, une mère célibataire était une tare. Alors on épiait ses moindres gestes, des fois qu’il y aurait lieu d’alerter la DASS encore une fois ! Adeline ignorait ces gens-là, seul moyen de ne pas être perturbée. Très vite, elle se mit en recherche de travail car maintenant, il fallait assumer le loyer et l’éducation du petit. Cela fut facile, à cette époque il y avait du travail pour tout le monde et on pouvait s’offrir le luxe de changer d’employeur comme de chaussettes. Elle trouva une nourrice non loin de chez elle. Tout allait bien jusqu’au jour où elle rencontra son futur mari, dans le cadre de son travail. Il lui en fit voir de toutes les couleurs : pour vous dire,  sur deux ans de mariage, Adeline dut faire huit mois de psychothérapie. Afin d’arrondir les angles, elle décida de prendre une épicerie en gérance avec son époux.

    Ils emménagèrent à Saint Denis (toujours dans le neuf trois). Ils devinrent des dionysiens. La superette était toute petite : deux rayons au centre, un rayon réfrigéré sur le côté pour les produits frais, un étalage de fruits et légumes en devanture. Le logement de fonction était à l’étage. C’était une vieille maison avec pignon sur rue et vue sur la cour depuis la salle à manger. Il y avait de l’espace. Au rez-de-chaussée, le magasin débouchait sur une immense cuisine qu’ils aménagèrent en petit studio avec accès sur la cour dont ils étaient les seuls bénéficiaires. De l’autre côté de la rue, il y avait de nombreuses allées venues au bistrot des trois marches, tenu par Maurice. Le quartier était surtout composé de bretons venus travailler à la capitale. Un peu plus loin, il y avait la zone : une cité craignosse mais qui les laissait tranquilles, leur fief étant en cercle fermé ou avec les bandes rivales des 4000 à Aubervilliers.  C’est toute fière qu’Adeline ouvrit son magasin à six heures du matin, après avoir lessivé le sol. On ne se rend pas compte du travail imposant que représente un commerce. Il y avait le livreur de produits frais, l’entretien de la boutique, les commandes, le réappro, le stock, les contrôles sanitaires, la caisse, les comptes et les dépôts à la banque. Il fallait déposer l’argent de la recette deux fois par jour et la banque se situait dans la cité voisine. Adeline n’était jamais rassurée mais il ne lui est jamais rien arrivé de fâcheux à ce propos. Son mari jouait les grands seigneurs au bon cœur et offrait des tournées générales avec l’argent qu’il prélevait dans la caisse. Leur couple était déjà en péril et Adeline riait jaune. Un soir en hiver, alors qu’il faisait une nuit d’encre de chine, une dame toute en noir pénétra dans le magasin. Adeline était seule. La dame était vêtue de deuil du petit orteil à la racine des cheveux. Son maquillage aussi était noir et amplifiait la dureté de ses billes qui lui servaient d’iris. Sans un mot, elle fit les cent pas devant l’étalage de légumes, fixant Adeline du regard puis disparut, toujours en silence. Elle lui glaça le sang. Adeline resta une bonne demi-heure, perplexe, se demandant bien ce qu’elle était venue lui annoncer ! Il ne faut pas oublier que son père avait eu droit à à peu près la même apparition, un an avant sa mort lorsqu’il tenait son auto-école. Un an après, jour pour jour, il décédait. Alors vous comprendrez qu’Adeline avait quelques raisons de se poser des questions ! Quelques jours plus tard, elle eut une dispute plus violente qu’à l’ordinaire, avec son époux. C’était certainement pour une broutille comme bien souvent dans les couples mais le fait est qu’il lui mit un coup de poing en pleine face, la déclarant KO sur le carrelage de la boutique. Puis elle tomba à nouveau enceinte et le bientôt futur ex devint de plus en plus violent, notamment avec le fils d’Adeline. Trop, c’était trop. Ils démissionnèrent de la gérance et durent quitter le logement de fonction.

    Ils emménagèrent un mois plus tard dans un logement sis en rez-de-chaussée d’un vieil immeuble, à Epinay/seine, toujours dans le neuf trois mais de plus en plus près du 95. Plus ça allait, plus Adeline fuyait la proche banlieue de Paris qui devenait invivable. A Epinay, ils devinrent des spinassiens.  Je vais faire un vilain jeu de mots mais ils quittaient la vinasse de chez Maurice pour la spinasse… Hélas, hélas, mais n’hélas, bonjour la mélasse ! L’appartement donnait sur une cour dont ils avaient l’usufruit. Il y avait deux chambres, une salle de séjour, une toute petite cuisine carrelée de vert d’eau, une toute petite salle de bain et des toilettes. Le sol brillait par son parquet, la peinture des murs craquelait, les plafonds étaient hauts et ornés de frisure blanche. L’appartement était en contre bas. Ainsi, depuis la salle de séjour, il suffisait d’enjamber la fenêtre pour être dans la petite rue perpendiculaire à un grand boulevard toujours comblé d’un trafic intense. Il y avait au moins quelqu’un de comblé dans l’histoire : le boulevard ! Adeline n’aimait pas la ville d’Epinay/seine. Elle la trouvait impersonnelle et triste. Il se passait d’ailleurs beaucoup de choses que je qualifierais de maléfiques. Un après midi, alors qu’elle glandait dans le canapé, elle vit passer devant sa fenêtre, un homme, tombé du quatrième étage. Il s’était suicidé. Elle n’eut pas le temps de dire ouf, elle entendit plouf. C’est impressionnant le bruit d’un corps s’éclatant au sol après une telle chute. C’est là qu’on réalise que nous sommes composés de 80% d’eau. C’est dans cet appartement de poisse qu’Adeline envoya valser son mari et demanda le divorce. Puis elle rencontra un beau rital qui la mit en contact avec une de ses tantes qui logeait à Clichy/seine (92) et elle obtint un petit F2 dans le même immeuble. C’était une vieille bâtisse. En façade, les propriétaires avaient des appartements assez luxueux. Au fond de la cour, après avoir escaladé un escalier en colimaçon sentant bon le bois verni, nous débouchions sur un trois étages avec fenêtre sur cour. Il n’y avait pas de salle de bains mais le logement était assez sympathique par sa rusticité. Par contre, c’était un vrai piège en cas d’incendie ou autre. Il n’y avait aucune autre issue que ce petit escalier étroit. Adeline avait récupéré une chienne qu’elle nomma Chipie, sur une idée originale de son fils. Chipie portait bien son nom… La vache de chienne ! Elle dépouilla complètement sa chère et tendre 2 chevaux verte qu’elle appelait « sa grenouille » d’ailleurs, tant elle s’éclatait avec ! Chipie avait aussi dépouillé le canapé. Forcément c’était une chienne croisée avec un bâtard ou un pied de tabouret, c’est comme vous voulez et de surcroît à tendance chien de chasse, avec de longues oreilles. Alors, un chien de chasse dans un F2, ça tente de creuser le sol et à défaut, ça creuse les cousins bien tendres. Un soir, lorsqu’Adeline rentra à la maison, elle sentit une forte odeur de cramé depuis la cour. Elle monta illico les marches quatre à quatre pour découvrir… Ah la petite conne ! Elle avait pissé sur la rallonge électrique qui trainait à terre. La prise avait pris feu mais heureusement s’était éteinte assez vite pour que cela ne se propage pas. Le plancher était noir de l’impact et Chipie, planquée au fond de la salle, les oreilles basses et la queue entre les jambes. Elle avait dû se prendre une bonne décharge ! Il n’y avait pas de chauffage dans cet appartement. Alors Adeline acheta des radiateurs électriques. Une nuit : elle se réveilla en sursaut, sentant une forte chaleur. Elle ne savait pas si elle rêvait ou si elle était en pleine réalité surréaliste : le petit lit de son fils  était en feu. Le temps que cela fasse le tour dans son esprit encore endormi, elle bondit dans les flammes et attrapa le petit, d’un coup. Elle ne sait toujours pas comment elle a pu avoir ce courage ! Elle n‘a pas réfléchi et a foncé. L’enfant fut  sauvé. Elle avait heureusement été réveillée juste à temps car il ne fut même pas touché par les flammes. Par contre, la couverture continuait de flamber. Adeline réussit à éteindre le feu en versant des casseroles d’eau puis elle ouvrit la fenêtre pour que cette épaisse fumée noire s’échappe. Il y eut plus de peur que de mal. Le radiateur était trop près du lit et lorsque le petit se retourna dans son sommeil, la couverture était tombée sur le radiateur. Tout ceci se passa à une vitesse éclair et si j’ose dire, les voisins n’y virent que du feu ! C’est le lendemain matin qu’ils sentirent l’odeur et constatèrent les traces noires au-dessus de la fenêtre. Il faut dire que cet immeuble était occupé par des personnes âgées et qu’Adeline était au dernier étage. Juste en face, il y avait le marché de Clichy/seine, à deux pas de la porte de Clichy. C’était la vie parisienne et en 1978, cette banlieue était richement fréquentée. Adeline n’avait même pas à prendre la voiture pour installer son étal et l’école était deux rues après le marché. Mais que demande le peuple ? Tout baignait dans l’huile ! Tout roulait comme sur des roulettes. Le marché de Clichy se faisait trois fois par semaine. Il y avait juste la petite sœur à emmener chez la nourrice. Le beau rital s’avéra être un maquereau en puissance. Au bout d’un an et demi, Adeline le quitta mais monsieur s’imaginait qu’elle était partie sur un coup de tête et il vint frapper à sa porte. Il ne fut pas déçu du voyage, le mec ! Primo, lorsqu’il s’aperçut que sa clef ne fonctionnait plus sur les serrures et secundo lorsqu’elle lui  annonça qu’elle pouvait très bien porter plainte contre lui. A dater de cet instant, il n’eut de cesse de l’effrayer. Chaque soir, à heures tardives, il y avait des bruits étranges sur le palier, qui, je vous le rappelle, était un vrai piège. Aucune fuite n’était possible : c’était un coupe gorge. Une nuit, tremblante de toutes parts, Adeline appela la police. Allo ? Ne quittez pas… Au bout de cinq bonnes minutes, un fonctionnaire répondit ceci « Cela n’est pas de notre ressort, vous devez appeler la gendarmerie ». Adeline insista et l’agent lui donna enfin le numéro de la gendarmerie. Elle aurait pu se faire tuer mille fois ! Rebelote : elle expliqua sa peur pendant que le rital se prenait toujours pour un gentleman cambrioleur. « Vous n’êtes pas blessée ? » « Non. Il est derrière la porte et tente de la forcer » « Il n’y a pas de mort ? » « Non. Je vous dis que je suis en réel danger » « Nous nous déplaçons uniquement lorsqu’il y a au moins un blessé. Venez faire une déposition demain »  Voilà. Adeline resta tétanisée et dégoutée par l’attitude de ces fonctionnaires, qui agissent probablement, selon les ordres reçus du gouvernement. Quelques minutes plus tard, elle entendit du bruit en bas, dans la cour. Puis elle aperçut de la lueur. Les gendarmes étaient quand même venus faire une ronde. Les bruits cessèrent sur le palier. Le rodeur était parti. Ouf ! Il y a quand même un peu d’humanité chez un gendarme !

    Les gendarmes avaient beau faire leurs rondes, Adeline avait peur en permanence et vivre dans ce piège, devenait insupportable. Elle avait besoin de souffler un peu, de chasser ses angoisses. Puisque ses enfants étaient en vacances chez sa sœur dans le Berry, elle décida de prendre un peu de repos avec eux. Cela ne pouvait être que bénéfique, primo pour les enfants et pour elle-même, secundo : de profiter de l'air pur de ce lieu-dit niché au bout du monde car le Berry, c'est le bout du monde ! Sa sœur était contente de la voir. Au bout de quelques jours, n'étant absolument pas prête à affronter à nouveau cette ambiance de Clichy, Adeline proposa à sa sœur de louer la petite maison de pierre située sur le côté de la ferme, face à la vieille grange abandonnée. La masure abritait un grand lit deux places tout juste coincé entre les quatre murs épais faits de pierres berrichonnes. Il n'y avait ni fenêtre, ni cheminée, juste une petite porte donnant directement sur la gadoue en temps humides. Adeline était bien entre ses quatre murs. Elle se douchait dans la grande maison et mangeait souvent à la table de sa sœur tout en tentant de respecter sa liberté. Elle ne voulait surtout pas être envahissante. Elle inscrivit les enfants à la seule et unique école, voire classe du secteur. La maîtresse s'occupait d'enfants de tous âges. Le fils d’Adeline apprit à monter sur un vélo dans cette campagne vallonnée. Il n'aimait pas trop l'école et le fit comprendre quand par une belle matinée, alors qu’Adeline sillonnait les routes, allant vaquer à ses occupations, la police doubla sa belle DS bleue chargée à bloc et lui fit signe de stopper. Tremblante, elle s'exécuta, sachant bien qu’elle était en retard pour payer l'assurance. Elle était certaine que la police allait lui chercher des noises. Et bien nenni ! Pas tout du tout ! "Vous êtes bien Madame Adeline ?".... Euh... Dans sa tête, elle se disait "Ils sont balaises dans le Berry ! Comment savent-ils cela ?" "Oui" "suivez nous, votre fils est à l'hôpital. Il se plaint du ventre". Ils mirent le gyrophare en route et Adeline les suivit, encore plus tremblante. Arrivés à l'hôpital, le petit allait très bien ! Il avait simplement voulu lui montrer qu'il préférait la suivre dans son travail plutôt que d'aller apprendre à écrire.

    La nature, ça inspire les petits comme les grands ! Dans la série « Maman, je te fais pleurer, je te fais rire », la fille d’Adeline, voulant imiter son grand frère ou son cousin, je n’ai jamais su qui des deux a été l’idole, se tenait tout debout devant le cerisier. Pan pan cul cul… Elle n’avait pas d’culotte ! Non pas comme le corbeau ouvrant un large bec, mais plutôt comme le roseau pliant au vent, la petiote pissait le long du tronc. Il n’y a que la fille d’Adeline pour avoir des idées aussi bizarres ! Elle ne peut pas la renier. Les cerises s’en souviennent encore, elles n’ont pas dérougit et les cerises sont cuites ! Le commerce aux Poux n’était pas rentable. Le Berry est une région pauvre et les gadgets que vendait Adeline étaient déplacés, farfelus en ces basses terres. Les économies sombraient et elle devait commencer à envisager son retour à Clichy mais pas avant la prochaine rentrée scolaire. Ce n’était pas plus mal car le temps passait et le beau rital avait certainement lâché l’affaire. En attendant, elle était tranquille : il ne risquait pas de la retrouver dans ce trou perdu… Ce petit trou de verdure comme dirait Rimbaud. Un soir, en rentrant du boulot, la sœur d’Adeline lui dit « Devine qui es venu ? ». Adeline fouilla dans sa tête, ça ne pouvait pas être son rital car elle lui avait juste parlé du coin mais sans plus et sa sœur n’ayant pas le téléphone en ces temps-là, on ne pouvait pas la trouver sur l’annuaire « Sais pas ! « « Ton mec est venu ». Incroyable mais vrai ! Il l’avait retrouvée. Le hasard se mêlant encore de sa vie, il s’est trouvé qu’une tante du dit rital avait sa maison de campagne à juste un kilomètre de là et qu’il était venu lui rendre visite. Au café, les ragots allaient gaiement… « Et puis, les jeunes de la haut. Cre ven Diuous, tu sais ben……les Poux… Et tata ti et tata ta… Y sont bizarres quand même ». Il avait vite fait le rapprochement. La sœur précisa qu’il reviendra demain. Adeline le revit donc et ils s’expliquèrent posément, après avoir passé une dernière nuit ensemble. Toute crainte étant désormais révolue, elle pouvait retourner à Clichy sereinement. Elle y rencontra un homme d’affaires vivant à Paris dans un appartement luxueux. Il avait une grosse voiture Citroën d’un vert pas beau. Adeline avait sa grenouille verte, Paul avait un crapaud qui perdit son moteur lors d’un déplacement professionnel, sur l’autoroute. Ah ! Que vivent les 2 Chevaux, c’est du costaud. Un soir, en rentrant du travail et alors qu’elle se garait, un homme l’aborda car il voulait lui acheter sa grenouille verte. Ah ! Euh… Tope là. Affaire conclue en cinq minutes.

    Cela faisait maintenant un an qu’Adeline était intérimaire dans l’aéronautique, qui se décida à l’embaucher. Elle accepta cette embauche avec plaisir bien qu’étant mieux payée en intérim car elle pourrait ainsi bénéficier du 1% patronal et accéder à un logement correct. Cette année provisoire lui permit de pouvoir faire la demande de logement sitôt l’embauche signée et elle fut très vite logée à Colombes, près du parc de l’île marante et, bizarrement, juste à cinquante mètres de l’hôpital Louis Mourier où son fils était né, neuf ans plus tôt. De sa fenêtre, elle pouvait apercevoir la maternité. C’était un F4, au quatrième étage d’un immeuble tout en long. Depuis le large balcon, elle pouvait voir la Seine. Comme d’habitude, son voisin du dessous était maniaque et pénible à vivre. Tous ses voisins ont toujours été une galère dans sa vie. L’appartement était spacieux et Adeline eut très vite envie de le rendre joli. Elle attaqua les papiers peints, la moquette, elle refit tout avec l’aide de sa copine Sylvie. Ce logement tombait à pic car la petite sœur d’Adeline appela pour lui signaler qu’elle était dans un foyer à Senlis, dans l’Oise. Elle voulait divorcer de son meunier corse et était venue se réfugier en région parisienne. Adeline était très heureuse que sa petite sœur Ghislaine soit dans la région. Avec les enfants, elle était allée lui rendre visite à Senlis. Ghislaine et Adeline étaient très soudées depuis la plus tendre enfance. Ghislaine logeait dans un foyer pour travailleurs immigrés, en périphérie de la ville et avait trouvé un job de pompiste à la station d’essence, juste avant d’attraper l’autoroute A1. Elle était courageuse et ne reculait devant aucun obstacle. Comme Adeline, elle pensait qu’il n’y a pas de problème mais juste des solutions. Adeline eut beaucoup de peine de la voir dans cet environnement. Ce foyer était un vrai coupe gorge pour une jeune femme seule et de surcroît française, car elle était bien la seule et unique rescapée du pays ! Nous étions en hiver et dès la tombée de la nuit, les yeux brillants de tous ces mâles luisaient dans l’ombre tel des yeux de chats guettant leur proie. Ghislaine n’avait pas peur et pourtant, elle aurait dû ! Ils étaient là sur le pas de la porte et pour rentrer chez elle, il fallait inévitablement traverser cette horde en chaleur et de plus Ghislaine était jolie ! Sa chambre était cependant fort agréable et elle bénéficiait de toutes les commodités. Ayant depuis peu son appartement à Colombes et n’ayant pas encore restitué celui de Clichy, Adeline proposa à sa petite sœur d’habiter Clichy. Elles ne feraient pas les formalités, ainsi elle aurait juste à s’installer sans frais. Il suffirait qu’elle paye son loyer et charges et le tour était joué. Elle sauta évidemment sur cette aubaine. Ce n’était pas important que le loyer reste au nom d’Adeline car elles s’entendaient bien. Ghislaine emménagerait dans quelques semaines, le temps de prendre congé de son job. Toutes deux n’avaient pas prévu que le meunier la retrouverait. Il débarqua à Senlis avec sa GS marron immatriculée en corse.

    Il n’était pas question que Ghislaine revienne sur sa décision de divorcer. Elle lui céda sa chambre de Senlis et s’installa à Clichy. Ils se voyaient régulièrement et Adeline tremblait pour sa petite sœur. Léonard avait le surnom de « renard » dans sa montagne corse. Il était rusé comme cet animal et en avait d’ailleurs la forme des yeux. Il était tout petit et tout ridé, on aurait presque dit un asiatique. Fort de ses inquiétudes et soupçons, Adeline avait demandé à Ghislaine « Tu n’as pas peur qu’il te fasse des ennuis ? Comment peux-tu le recevoir chez toi ? Je tremble pour toi ». Sur quoi, elle répondit calmement « Qu’est-ce que tu veux qu’il me fasse ? C’est un petit vieux. Il me fait pitié plus qu’autre chose ». En effet, Léonard était de vingt-cinq ans plus âgé que Ghislaine mais à soixante-trois ans, on n’est pas si vieux que ça et les craintes d’Adeline se renchérirent. Elle avait vraiment un mauvais pressentiment. Avant de faire sa demande de logement pour Colombes, Adeline avait craqué devant le désarroi de son fils et l’avait retiré de ce pensionnat à Conflans. Il avait réintégré l’école de Clichy où il retrouva avec joie son petit pote magrébin avec lequel il fauchait les emblèmes des voitures. Lorsque Ghislaine fut arrivée, elles décidèrent de laisser le fiston finir l’année scolaire à Clichy. Ainsi, Adeline l’emmenait tous les matins de Colombes à Clichy et il rentrait le soir directement chez Ghislaine. Il avait la clef et n’attendait sa mère qu’une heure à peu près, le temps qu’elle rentre de son travail. C’était une solution pratique et Ghislaine était quasiment toujours là lorsque le petit rentrait de l’école. Adeline invitait souvent Ghislaine à manger chez elle. Lorsque son meunier était là, elle l’invitait aussi, à contre cœur mais Ghislaine ne voulait pas le blesser, alors elle jouait le jeu. Ils passèrent les fêtes de fin d’année ensemble. Léonard, à priori, se sentait bien chez Adeline à Colombes et il commença à lui faire des avances. Elle était scandalisée ! Elle avait de plus en plus de mal à le recevoir dans sa maison mais c’était le beauf ! On ne choisit pas sa famille. Fort heureusement, il rentra en corse après les fêtes et Adeline poussa un OUF de soulagement. Elle était elle-même en pleine procédure de divorce et avisa sa petite sœur des tracas que cela  occasionne. Ghislaine n’avait pas d’enfant et ne s’inquiétait pas, mais elle avait quand même mit toute l’assurance vie de leur maman pour sauver la châtaigneraie de son mari et Adeline savait bien que là, il y aurait comme un os ! Tranquille et rassurée car Léonard avait réintégré ses pénates, Ghislaine venait souvent passer le weekend chez Adeline et cela reste de beaux souvenirs. Ghislaine était intelligente. Adeline l’admirait. Elle avait repris les études et apprenait maintenant le sanscrit, autrefois parlé dans le sous-continent indien. Elle apprenait aussi la religion bouddhiste et se levait à quatre heures du matin, étendait un tapis sur le sol, prenait une position genre « lotus » et priait. Ce weekend de début avril 1983, Ghislaine était là et s’était fait cuire deux œufs à la poêle, puis s’était mit de la crème sur le visage avant de partir à son cours de sanscrit. Elle prenait soin de son corps et de son âme et cette image est restée gravée à jamais dans l’esprit d’Adeline. Elle laissa son cartable noir chez elle et lui donna rendez-vous pour tard dans la soirée.

    La soirée se passa et Ghislaine ne rentra pas. Adeline trouvait cela étrange mais Ghislaine était tellement bizarroïde ! Adeline pensait qu’elle était certainement à Clichy ou quelque part avec des amis et qu’elle allait revenir le lendemain car de toute façon, elle avait besoin de son cartable. Elle se coucha. Dans cette nuit du 8 au 9 avril 1983, à quatre heures précisément, elle se réveilla en sursaut. Assise sur son lit, les yeux grands ouverts, elle voyait une image devant elle : deux têtes de squelette. Une était une tête de mort comme on en voit dans les musées et l’autre était une tête de mort avec les yeux vivants. Elle eut peur car devant cette vision, elle craignait qu’il ne soit arrivé quelque chose à Ghislaine dans ce Clichy de malheur...

     

    Lire de texte en entier : Télécharger « Adeline a la bougeotte.pdf »

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 5 Juin 2015 à 11:33

    Hello Arielle

    Je me prépare pour partir à l'infiorata en Italie..

    Bon week end et à lasemaine prochaine

    bizz

    Pat

    2
    Vendredi 5 Juin 2015 à 12:43

    Je t'ai lu avec plaisir. Une vie bien mouvementée Arielle et dire que je me plains parfois.  J'irai lire la suite sur le document en lien. J'aime ces récits un peu autobiographiques je pense mais peut être que je me trompe. Bises

    3
    Simone L.V.
    Vendredi 5 Juin 2015 à 13:09

    L'avantage lorsqu'on déménage sans cesse ... c'est que le logement n'a pas le temps de s’empoussiérer ni de se dégrader, plutôt cool pour l'état des lieuxyes; mais il faut aimer la vie dans les cartonsbeurk!!! trêve de balivernes; j'ai hâte de lire ton livresarcastic

    Cela ma fait penser que j'avais écrit tout un livre sur nos maisons (à mon mari et à moi mais aussi à mes parents et ses parents); une manière d'en faire mémoire ... mais c'est peut-être lassant à force??? je l'ai imprimé mais il n'a pas dépassé mon étagèrecry

    Bonne fin de semaine et bises; Simoneclown

    4
    Vendredi 5 Juin 2015 à 23:22
    Pas facile la vie d'Adeline.. on ne s'ennuie pas avec elle. Des tonnes d'histoires dans ses cartons !
    5
    Samedi 6 Juin 2015 à 13:14

    Adeline, une vie trépidante qu'on aime suivre pas à pas...

    6
    Samedi 6 Juin 2015 à 16:48

    Elle n'était pas facile la vie, d'ailleurs elle n'a jamais été facile pour les femmes avec les maris et les enfants. Merci pour ce récit qui nous plonge en arrière. Bon week end.

    7
    Samedi 6 Juin 2015 à 18:07

    une vie bien dure

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